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Aussi bien la logique du besoin triomphe malgré la recherche de l’inutile. Les seules formes vraiment belles d’aspect neuf que nous apercevions à l’Exposition, sont les formes très simples, sans ornemens, sans prétentions, sans richesse. Ce sont celles où il n’y a aucune recherche d’originalité. Elles s’adapteraient parfaitement à une vie facile, légère, sans ostentation, sans inquiétude. Mais cette vie, est-ce celle que nous vivons ? Pour donner à ces modestes choses l’hospitalité qui les ferait vivre, il faudrait que chacun acceptât l’idée d’un art sans éclat et d’une vie intérieure. Il faudrait que le nouveau riche renonçât à son faux Henri II ou à son pompeux Louis XV et se résignât à voir le beau dans le modeste. Il faudrait surtout que « l’amateur » renonçât au rare et à l’imprévu, à la chose dont on n’a pu établir qu’un seul exemplaire et que personne n’a jamais possédée. Mais qu’est-ce que cela ? Ce serait toute une révolution dans notre état social ! Aujourd’hui, ceux qui achètent les meubles de style ne s’en servent que comme d’une affirmation de leur richesse et le signe de leur ascension sociale. Leur but n’est pas d’honorer une maison qui le plus souvent n’est pas la leur, ni d’embellir un foyer qu’ils n’ont pas fondé et qu’ils ne légueront pas à leurs enfans. On n’habite plus une maison, mais une tranche de maison, comme un tiroir. On n’a plus le sentiment qu’en avaient autrefois ceux qui embellissaient pour des siècles les coins de terre et de pierre qui portaient leur nom. Dans ces hautes maisons modernes que nous imitons de Chicago, si les parois s’abattaient de tous côtés, des centaines d’hommes debout, les pieds des uns sur les têtes des autres, apparaîtraient étages comme les figures de pierre sur les Godpuras Hindous. L’homme le plus riche habitant ces maisons n’a pas ce que possède le paysan dans sa cabane : le sol et le sous-sol de ces trois pieds de terre qu’il couvre de son corps quand il sommeille. Dans les champs, silencieux et déserts, l’aspect de l’unité humaine grandit. Ici, il se rapetisse. Là-bas l’homme se sent sur un point infime, mais du moins sur un point de l’espace, seul possesseur de l’infini au-dessous de lui et seul spectateur au-dessus. Dans le jour, personne ne travaille au-dessus de lui que peut-être les Anges, et la nuit, personne ne dort sous lui, que peut-être les morts. Les Chinois, qui trouvent peu honorable d’habiter sous les pieds des autres et qui bâtissent la plupart des maisons à un seul étage, sentent cela. Ils le sentaient aussi, les hommes d’autrefois, comme