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trouverez dans les joyaux de M. Vever comme sur les verres de M. Gallé. Ce curieux petit animal sert désormais à nouer les cheveux comme à fermer les livres ou à inviter à boire. Il n’y a pas longtemps, un hôtelier désireux d’attirer les voyageurs, et de leur persuader que son auberge était décorée en modern style, faisait publier que sa salle de billard présentait un décor lacustre : un plafond vitré, des poissons, des nixes et des plantes d’eau sur les parois, en un mot qu’il semblait qu’on jouât au billard dans un aquarium. Cet hôtelier avait trouvé là une véritable définition. S’il y a un style moderne, c’est un style essentiellement sous-marin.

Que faut-il penser de ce premier caractère ?

Certes il est légitime d’aller chercher dans la vie sous-marine de quoi renouveler le pittoresque de nos décors. Une foule de ces petits êtres jouent leur rôle avec autant de grâce que les dauphins et avec plus d’inattendu. Mais on n’a point demandé seulement à la vie sous-marine ses formes dans ce qu’elle a d’achevé pour les semer à titre de moindres décors dans un ensemble ordonné par notre vie à nous. On lui a demandé l’idée même de ces ensembles. On s’est inspiré de sa vie à elle, de cette vie obscure, peu organisée, de ses formes balbutiantes, hésitantes, incertaines, et l’on a tiré d’elle non seulement ce qu’elle a d’achevé dans quelques-uns de ses produits, mais aussi ce qu’elle a d’incomplet et de confus dans ses origines, — ce qui est tout différent. Considérez les formes qui vous paraissent résolument nouvelles et vous remarquerez que toutes semblent appartenir, comme les formes animales sous-marines, à la classe des invertébrés. Le pied, soit de la table, soit de la chaise, soit du flambeau, adhère, colle, selon un contour vague, indéfini, au sol comme une anémone de mer. Les empâtemens du moderne style ressemblent à celui de ces mollusques qu’on voit collés sur les rochers ou quelquefois sur les coquilles. Les bras de ces meubles vaguent épars comme des annélides. Leurs sommets se recourbent comme des méduses. Les ferrures, serrures, poignées, s’incurvent en lignes hésitantes, soudainement renflées ou diminuées, sans aucun plan apparent, comme des flustres. Les profils ont la mollesse des vésicules. Les membranes de bois ou de fer, au lieu de rappeler la direction précise du bras de l’homme ou de la branche de l’arbre, simulent l’ondulation des cheveux dans le vent et des algues dans le courant. En voyant ces longues et lentes tiges recourbées, on se demande quel organe ou quel membre elles représentent.