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d’abord qu’à tâtons, mais où chaque pièce s’illumine pour lui à mesure qu’il poursuit son exploration.

Mais, autant qu’elle est immense, cette création est informe. On croit assister au commencement du monde. Les auteurs semblent avoir joué avec une matière trop riche et trop docile qui se serait prêtée trop vite à des fantaisies peu réfléchies. Quand on vient de noter les formes précises des objets du Petit Palais, leurs organes définitifs, leurs membres clairement liés, on a l’impression qu’on descend dans un cycle antérieur de la vie, comme si d’un concours de chevaux on passait à de laborieuses restitutions d’hipparions ou de paloplæothérions. Des plantes serpentent sur les murs comme des tentacules ; des monstres entourent le foyer, semblables à des crustacés. La lumière trouble que dispensent les vitraux barbouille d’une couleur équivoque toutes ces larves. On croit marcher dans un rêve et parmi des monstres de l’âge secondaire. Tandis que dans les Rétrospectives on savait exactement quelle matière on touchait : si c’était du bois, de la terre ou du fer ou du verre, ici on ne parvient pas à s’y reconnaître. Les différens organes de la vie décorative se mêlent dans cet obscur creuset, comme dans la nature le règne animal, le règne végétal et le règne minéral se confondent au seuil de la vie.

Pourtant il y a quelque chose de clair. Une même étiquette désigne tous ces mystères. Où que vous soyez, vous voyez ces mots : Style moderne, Industrie d’art, Meubles d’art, Art nouveau. L’affirmation est universelle. La prétention est catégorique. Dans ce dédale que forment les sections de la Décoration et du Mobilier, des Industries diverses et de la Céramique, de la Verrerie, l’Orfèvrerie et le Joyau, c’est le fil conducteur. La création d’un style moderne, tel est le but et le plan de cette floraison étrange. Y a-t-il vraiment là un style moderne, c’est-à-dire a-t-on trouvé une forme à la fois nouvelle et durable pour embellir, depuis la maison jusqu’au joyau, ce qui est utile à la vie ? A défaut de formes nouvelles et durables, nos artistes ont-ils découvert, pour revêtir les formes anciennes de nos objets, quelques teintes inconnues et splendides ? Enfin l’ensemble de ces découvertes constitue-t-il ou non un style moderne ? S’il y en a un, quels en sont les caractères ? S’il n’y en a pas, quelles en sont les raisons ? Tel est le problème que nous porterons avec nous durant cette journée d’automne à travers les sections d’Art décoratif à l’Exposition.