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pacifiques. Babaud-Laribière, dans une circulaire du 1er août 1871, expliqua que nos malheurs seraient aggravés « si, l’enquête venant à démontrer que la maçonnerie allemande a été complice des crimes de la politique prussienne, le Grand-Orient de France était obligé de rompre ses relations avec nos Frères d’outre-Rhin. » Le grand convent se réunit en septembre : M. Poulle, plus tard président à la cour d’appel de Poitiers, était chargé du rapport sur la question allemande ; il le fit très succinct, et conclut à l’ajournement de toute solution jusqu’à plus ample enquête. L’un des meilleurs amis de Jean Macé, Duclaud, plus tard député de la Charente, remplissait dans ce convent les fonctions d’orateur : son devoir était de résumer les discussions. Rivalisant de laconisme avec M. Poulie, il se contenta de dire : « La gravité de la question des rapports avec les puissances allemandes ne vous a point échappé, et votre prudence l’a écartée par un sentiment sur lequel aucun de nous ne s’est fait illusion. » Sur ces entrefaites, l’assemblée se sépara ; on ne voit pas que la question ait figuré derechef à l’ordre du jour du convent de 1872.

L’ « humanitarisme, » au lendemain des sanglantes déceptions qu’il avait essuyées, n’avait plus assez de crédit pour afficher, de nouveau, ses espoirs et ses exigences d’antan : il lui suffisait, pour l’heure, de commander ou de conseiller le silence sur ces déceptions. Rien de plus significatif, à cet égard, que les confidences qu’adressait Jean Macé, en juin 1871, à un Berlinois, fondateur d’une Ligue prussienne de l’Enseignement :


« Ce que je déplore avant tout dans les événemens auxquels nous venons d’assister, c’est la haine qu’ils ont allumée au cœur de mon peuple contre le vôtre. J’y vois un danger permanent pour la liberté et le progrès dans nos deux pays, une arme toujours prête, chez nous comme chez vous, aux mains des marchands de despotisme et de gloire militaire, l’un portant l’autre. Soyez donc assuré que je songe bien plus à l’éteindre qu’à l’attiser, et ne me considérez pas comme un ennemi vaincu qui boude, mais comme un compagnon d’armes momentanément empêché de faire campagne avec vous sur un terrain qui lui est personnellement interdit… »


Bref, parce que l’amertume prolongée des souvenirs est susceptible, un jour ou l’autre, de profiter aux « marchands de gloire militaire » et d’être exploitée par les « marchands de despotisme, » Macé promettait à son correspondant d’outre-Rhin de travailler à « éteindre, » bien loin d’ « attiser. » Comme tous les Français, il projetait au-delà des Vosges un regard attristé ; mais