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II

La maçonnerie, jusqu’aux dernières heures de l’Empire, entretint les illusions de l’opposition : prévoir une guerre ou la préparer, c’était infliger un affront aux rêves d’internationalisme maçonnique. Or le Vatican, sans le vouloir, excitait les imaginations des « frères ; » ils le voyaient faire un concile ; pourquoi n’auraient-ils pas le leur ? Ricciardi à Naples, Massol, Colfavru, Caubet, en France, se sentirent, tout d’un coup, des tempéramens d’hommes d’Eglise : ils voulurent opposer à la manifestation du catholicisme universel et de la « vieille barbarie » celle de l’esprit moderne et de la libre pensée internationale ; et, lorsque ces somptueuses ambitions furent éconduites par le grand convent à l’instigation du général Mellinet, Caubet fit entendre que Mellinet avait fraudé les votes, et il fut inconsolable.

La maçonnerie du XIXe siècle, comme la chrétienté du moyen âge, rêvait la conquête de l’humanité tout entière et une sorte d’identification entre la famille maçonnique et la famille humaine : c’est ainsi qu’en mars 1870, à l’inauguration de la loge de Sainte-Marie-aux-Mines, le vénérable de Colmar portait une « santé humoristique à la suppression totale de la franc-maçonnerie, amenée, dans un avenir plus ou moins éloigné, par le triomphe définitif et universel des grandes idées de liberté, d’égalité et de fraternité ; » et Macé portait une santé, « non moins spirituelle, à l’évaporation des principes maçonniques, qui doit précéder et amener peu à peu la suppression de notre institution. » L’acacia d’Hiram parodiait le sénevé de Jésus, il ombrageait toutes les nations et les unissait toutes.

Or, dans le Paris de 1870, il y avait un endroit, modeste, mais instructif, où volontiers les maçons parisiens s’empressaient, pour méditer sur ces grandioses espoirs : c’était la loge Concordia. Elle était purement allemande. C’est en octobre 1867 qu’elle s’était installée : trois membres du Conseil de l’Ordre du Grand-Orient s’étaient dévoués au rôle d’officians. Son vénérable, qui portait le nom de Meyer, s’attendrissait et les attendrissait en remarquant combien il était « beau qu’une loge allemande se fondât en France juste au moment où l’enchaînement fatal des événemens tendait à jeter le désaccord. » Jean Macé quêtait la Concordia pour sa Ligue de l’Enseignement ; la Concordia payait son écot.