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montrent dès lors isolées. L’observateur aperçoit donc, par exemple, une raie rouge qui se détache sur le fond gris cendré, formé par le spectre très affaibli de l’atmosphère ; en faisant mouvoir la fente du spectroscope de manière à balayer toute la région occupée par la protubérance, il en voit les tranches successives, représentées par la raie rouge, qui varie de longueur et d’intensité. On peut ainsi reconnaître aisément la forme de la protubérance et en dessiner les contours. Mais l’on peut aussi la voir tout entière d’un seul coup, en élargissant convenablement la fente du spectroscope, jusqu’à faire apparaître la silhouette rouge ou la silhouette bleue de la protubérance qu’il s’agit d’observer. C’est par cette méthode que, depuis des années, de nombreux astronomes explorent tous les jours les contours du disque solaire, et en surveillent les incessantes et parfois rapides transformations. Les protubérances se montrent, en effet, sous les aspects les plus variés : gerbes de feu, jets qui s’élancent à des hauteurs prodigieuses, panaches, nuages qui semblent flotter au-dessus d’un cratère, et qui se dissolvent bientôt et disparaissent. Cela ressemble souvent à des éruptions gigantesques, infernales. On dessine ces jets de flammes, on est même arrivé à les photographier d’une manière régulière.

Nous assistons ainsi au développement surprenant d’une nouvelle branche de l’astronomie qu’on pourrait, à juste titre, appeler l’Astronomie expérimentale, et dont l’essor date surtout de l’avènement de l’analyse spectrale. Il est vrai qu’une tentative avait été déjà faite par Arago pour introduire dans l’astronomie les méthodes de la physique : il avait conçu l’espoir de surprendre, dans les modifications de la lumière qui constituent les phénomènes de polarisation, la révélation de l’état physique des astres dont elle émane. Mais le polariscope ne tint pas ses promesses ; après quelques applications heureuses, les découvertes s’arrêtèrent. Il fallut attendre que l’étude des raies du spectre, trop négligée jusqu’alors, mît enfin dans les mains des astronomes un instrument de progrès d’une prodigieuse fécondité, et que la photographie, venant à son tour se mettre à leur service, bouleversât complètement les vieilles méthodes de recherche. L’astronomie expérimentale, née depuis quarante ans, a déjà exigé la création de tout un attirail d’instrumens spéciaux, installés dans des observatoires qui ressemblent à des laboratoires de chimie et de physique. On les appelle des observatoires d’as-