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patronage de celles-là. « C’est, disent-ils, un nouveau genre d’aumône : après le pain quotidien, la culture intellectuelle. De cette façon, on s’efforce de faire de la science ce qu’on avait fait de l’Eglise pendant de longs siècles, une complice de l’oligarchie nobiliaire et bourgeoise, un instrument du capitalisme. Pour que l’instruction profite au peuple, pour qu’elle soit une force entre ses mains et un moyen d’émancipation, deux choses sont nécessaires. D’abord, il faut que le peuple prenne la direction du mouvement, qu’il accepte les sympathies, les bonnes volontés, les concours spontanés et gratuits, mais non l’aide pécuniaire qui justifierait une intervention dominatrice. Il a maintenant son organisation, son gouvernement, ses finances : il est donc assez riche pour s’offrir à lui-même le bienfait de l’éducation supérieure qui, seule, fera définitivement de l’ouvrier l’égal de ses anciens oppresseurs. En second lieu, cette instruction doit être remaniée au point de vue de l’ouvrier. Sa science ne peut et ne doit pas être la science du bourgeois ; elle doit en différer par les principes, l’esprit, la méthode. L’une appartient au passé et l’autre à l’avenir. À des classes nouvelles et à des temps nouveaux conviendra un nouvel enseignement que les vieux foyers universitaires ne peuvent plus donner, inféodés qu’ils sont à toutes les doctrines concomitantes du capitalisme. Le temps est venu de balayer toutes ces vieilleries, comme on a autrefois fait table rase de la scolastique. »

C’est de là qu’est sorti Ruskin Hall, le collège ouvrier d’Oxford[1] avec toutes les autres branches auxquelles il a servi de tronc. Seulement, par une dernière et inévitable ironie des choses, c’est le capital qui a fourni les armes nécessaires pour lutter contre le capital. Un riche Américain, M. Vrooman, a établi ses étudians-ouvriers dans une maison de la vieille ville universitaire, qu’il a placée, fort naturellement, sous le patronage de Ruskin. Ceux qui sont quelque peu familiers avec le grand penseur savent son ardeur pour la régénération, l’épuration, et l’ennoblissement des démocraties modernes. Comme il a à peu près tout dit sur tous les sujets, il prête à toutes les critiques, sauf une

  1. Il existe à Londres, dans Great Ormond Street, depuis plusieurs années un collège ouvrier qui fonctionne admirablement et qui rend de grands services, mais on n’y songe nullement à battre en brèche la science officielle et on y prépare, par les méthodes ordinaires, les jeunes ouvriers à s’élever d’un ou deux échelons dans la société.