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Universités, avec cet ardent désir d’une application immédiate qui, chez l’Anglais de nos jours, suit toute conception mentale. Par une réaction inévitable après l’égoïsme utilitaire de la génération précédente, apparaissait, dans ces jeunes hommes, une étrange soif de dévouement. C’est parmi eux que M. Barnett, — il faut retenir ce nom qui aura, certainement, une place dans l’histoire sociale du XIXe siècle, — chercha des collaborateurs. A ses auxiliaires ecclésiastiques, il adjoignit des lay curates, des vicaires laïques. Pourquoi des laïques ne se seraient-ils pas associés à la propagande morale, puisque les ecclésiastiques s’occupaient du progrès matériel ? Ces choses ne sont pas aussi distinctes, ces domaines ne sont pas aussi séparés que certains voudraient nous le faire croire.

Parmi ces volontaires de l’apostolat auxquels le recteur de Saint-Jude fit appel, la figure la plus noble, la plus pure, la plus caractéristique est celle d’Arnold Toynbee. Je ne puis que l’esquisser en quelques traits : d’autres viendront après moi, j’espère, qui lui donneront tout son relief, toute sa couleur, toute sa bienfaisante fascination afin que sa pensée fasse encore du bien longtemps après que son cœur généreux a cessé de battre. Arnold Toynbee était le fils de Joseph Toynbee, un médecin, qui, vers le milieu de ce siècle, s’était fait une réputation spéciale pour les maladies de l’oreille. Ses premières années se passèrent dans une belle et paisible demeure de Wimbledon. L’enfant trouva, dans la bibliothèque de son père, un livre singulier et intéressant : The Mystery of Pain. Il le lut, le médita, causa longuement avec l’auteur, M. Hinton, qui était l’ami du docteur Toynbee et qui prit l’enfant en gré. Arnold devait appartenir toute sa vie à cette race d’hommes parmi lesquels se recrutent les apôtres, celle des « mystiques d’action. » C’est ainsi qu’il put se tromper sur sa vocation et s’imaginer qu’il serait soldat. Il ne se trompait qu’à demi, mais il ne savait pas encore de quelle puissance il serait le soldat, ni avec quelles armes, ni sur quel champ de bataille. Après quelques années, disons perdues, dans une école militaire préparatoire, il s’avisa que la robe lui conviendrait mieux que l’uniforme et que l’Université serait son fait bien plus que la caserne. C’était en 1870, et il avait dix-huit ans. Il alla vivre au bord de la mer, y passa une année entière dans la solitude, essayant de combler les lacunes de son éducation classique. Il n’y réussit qu’imparfaitement, ne devint jamais un