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de cèpes à l’ail, de cruchades à la graisse et de saucisses à la Brunette. Les grands services s’organisaient. À l’Hôtel de Ville et à la division militaire, les bureaux de la guerre reprenaient, sur des tables volantes, entre des paravens, leur labeur forcené qui mettait debout régimens et batteries, activait l’immense création des ressources de toutes sortes ; à la Préfecture, on faisait place aux employés du ministère de l’Intérieur. La marine se casait dans un bâtiment de dépôts ; les Postes et Télégraphes au rez-de-chaussée du Grand-Théâtre. Crémieux, avec la Justice, fut logé à l’hôtel Sarget, dont le vaste balcon de pierre lui servit dès le lendemain aux harangues populaires. Glais-Bizoin, à cette nouvelle, accourait du camp de Conlie, pour prendre sans retard sa part d’importance. Avec ses goûts modestes et son sans-gêne habituel, il se contentait d’un petit logement place des Quinconces, recommençait sa vie d’audiences en plein air, son agitation de mouche du coche ; son triomphe était de passer en revue la garde nationale, en l’absence de Gambetta et en compagnie de Crémieux ; emmitouflés de macfarlanes et de cache-nez, les deux vieillards allaient alors du même pas, se tenant par le bras, — pour que l’un ne précédât pas l’autre.

M. Thiers, qui avait retenu l’entresol de l’hôtel de France, rue Esprit-des-Lois, arrivait sans se presser, avec sa petite cour. Circonspect, il regardait, écoutait. Toute sa politique tenait dans ce mot : attendre. Tandis qu’aux armées, Gambetta accordait son âme avec celle de Chanzy, dans la brève entrevue où tous deux unissaient leur foi au triomphe final de la France, courait de là essayer de galvaniser Bourbaki, à Bourges, l’ancien ministre de Louis-Philippe, dans l’attitude que lui avaient donnée son opposition primitive à la guerre, le dévouement de ses voyages auprès des puissances, sa conviction de l’armistice nécessaire, se préparait paisiblement à recueillir la succession du pouvoir, le jour où ceux qui le confisquaient seraient usés. Une partie de la France escomptait cette inévitable réaction, comptait sur lui. On le considérait comme le sauveur probable ; on avait foi dans sa modération, son bon sens, ses lumières ; et personne n’y croyait autant que lui.

Les journaux de Tours et ceux qui, n’ayant pu y trouver place, paraissaient à Poitiers et à Nantes, affluèrent, ajoutant à la zizanie des feuilles locales leurs ardentes revendications de partis. En face de tout cela, la présence attentive du corps diplo-