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une ou plusieurs puissances, après avoir reconnu l’analogie ou l’identité de leurs intérêts, se sont mises d’accord pour agir ensemble, leur actionna été généralement prompte et efficace : il n’en est pas de même quand elles se proposent d’agir toutes ensemble, et l’adversaire attentif, patient et subtil qu’elles ont en face d’elles ne manque pas de distinguer le point où commencent leurs dissidences. Il commence alors à ne plus les craindre autant. Faut-il le dire ? Le concert des puissances a surtout pour objet de leur permettre de se surveiller mutuellement, quelquefois de s’entraver. C’est la plus énorme machine qu’on puisse imaginer, mais la plus impropre à l’action, faite qu’elle est de rouages qui ont une tendance naturelle et presque invincible à fonctionner en sens contraires.


Nous ne pouvons que mentionner aujourd’hui, faute de place pour en parler comme il conviendrait, la dissolution de la Chambre des communes anglaise et de la Chambre des députés autrichienne. Il est impossible, dans des faits d’apparence analogue, de s’être déterminé par des motifs plus différens que ne l’ont fait les ministères des deux pays. En Angleterre, si le Parlement a été dissous une année environ avant le terme habituel, c’est parce que le ministère conservateur a jugé que la situation était aussi bonne pour lui, et probablement même meilleure qu’elle pourrait jamais l’être : tandis qu’en Autriche, c’est parce que la situation était devenue intolérable et la vie parlementaire impossible qu’il a fallu se résoudre à un parti assez semblable à un acte de désespoir.

Lord Salisbury est parfaitement sûr de retrouver sa majorité ; tout ce qu’il peut craindre, c’est qu’elle ne soit légèrement diminuée ; encore rien n’est-il moins sûr. Le courant de chauvinisme qui emporte l’opinion est si fort chez nos voisins, qu’en dépit de l’iniquité initiale de la guerre du Transvaal, malgré les fautes militaires qui y ont été accumulées, malgré tout ce qu’elle a coûté et qu’elle coûtera, l’opinion britannique restera fidèle à un gouvernement qui a flatté ses passions les plus violentes et qui se vante d’avoir reculé les frontières de l’Empire. M. Chamberlain le fait avec arrogance ; lord Salisbury y met une réserve de meilleur goût ; on sent, en les écoutant, que les deux hommes ont une autre origine. Mais le second a fini par accepter ou par subir la politique que le premier a su imposer, grâce à une volonté plus forte et plus rude, et tous les deux tendent aujourd’hui au même but. Ils l’atteindront sur le terrain électoral. Les chefs du parti libéral ne se font aucune illusion sur le dénouement d’une bataille