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de trouver un système philosophique qui bouleverserait le monde. Et si, parfois, il s’étonnait du peu de succès de son Zarathustra, parfois aussi il s’étonnait de l’importance qu’on y attachait ; car il avait l’impression que la seule partie importante de ce livre était son épilogue, qui restait à écrire. « Je suis pleinement satisfait de mon travail de cet été, — lisons-nous dans une de ses lettres, du 2 septembre 1882, — j’ai pu achever tout ce que je m’étais proposé de faire. Maintenant les six années prochaines vont être toutes consacrées à l’élaboration de mon plan, c’est-à-dire à l’exposé de ma philosophie. Tout s’annonce bien, et j’ai grand espoir. Quant à mon Zarathustra, il n’a provisoirement qu’un sens tout personnel : il a pour sens d’être mon livre de divertissement et d’encouragement ; à cela près, un livre obscur, caché, risible pour tout le monde. Heinrich von Stein, un beau type d’homme, en qui j’ai trouvé plaisir, m’a dit en toute franchise qu’il n’avait compris, du susdit Zarathustra, que douze chapitres, pas un seul de plus. Cet aveu m’a fait du bien. »

Combien on aimerait à voir mettre ces paroles de Nietzsche en épigraphe des nouvelles éditions de son Zarathustra ! Combien elles aideraient à tixer le véritable « sens » de ce livre « obscur et caché, » dont les nietzschéens prétendent nous imposer les plus folles boutades comme des versets d’un nouvel évangile, tandis que Nietzsche lui-même se plaisait à affirmer que ses plus intimes confidens n’y pouvaient rien comprendre !

T. de Wyzewa.