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tion des idées de Nietzsche. Son livre contient, en cent cinquante pages, le résumé à coup sûr le plus complet d’une œuvre que je soupçonne d’avoir trouvé dans son pays même, jusqu’à présent, moins de lecteurs que d’admirateurs.

Je ne saurais, malheureusement, songer à résumer ici cet excellent résumé. Mais en attendant qu’on consente à nous le traduire, et que nous puissions, grâce à lui, rectifier l’image un peu trop nietzschéenne, peut-être, que nous a naguère donnée de la philosophie de Nietzsche M. Lichtenberger, voici deux ou trois points de détail sur lesquels l’opinion de M. Ziegler me paraît mériter d’être signalée.

Le premier de ces points est l’extraordinaire fortune des écrits et des idées de Nietzsche. Car cet homme, qui a poursuivi de sa haine méprisante l’esprit allemand, et les professeurs, et la démocratie, est aujourd’hui devenu l’idole d’une certaine jeunesse allemande, et des démocrates, et des professeurs eux-mêmes ; il l’est devenu presque sans délai, n’ayant commencé à écrire qu’en 1872. Et peu d’écrivains jouissent d’une popularité aussi étendue que cet impitoyable contempteur de la popularité, qui se vantait d’être, en toutes choses, « intempestif, » seul de son espèce, à l’inverse de son temps. Il y a là, comme le dit M. Ziegler, un problème, une sorte de « cas Nietzsche, » qui vaut d’être étudié après le « cas Wagner. » Et ce « cas » s’explique par une foule de raisons, dont la plus apparente, mais non peut-être la plus décisive, est l’éminente originalité littéraire de l’œuvre de Nietzsche. Celui-ci est d’abord un merveilleux « styliste, » et quiconque a le goût de la forme doit prendre plaisir à le pratiquer. Il est, en outre, un « aphoriste, » ce qui le rend plus facile à lire que tout autre philosophe. Il est, suivant l’expression de M. Ziegler, un « paradoxiste, » et rien ne frappe autant les jeunes esprits que le paradoxe. Et puis il est un poète, un très grand poète, avec un mélange de symbolisme et de mysticisme qui prête à son œuvre un charme d’attraction tout particulier.

Mais ces causes littéraires de sa popularité se renforcent d’autres causes plus profondes, La vérité est, suivant M. Ziegler, que les aphorismes de Zarathustra ont une « brutalité » qui flatte les instincts éternels de la démocratie, et qui correspond, aussi, à ses nouveaux principes moraux. On est heureux d’apprendre qu’un philosophe s’est trouvé pour prêcher l’égoïsme, l’absence de scrupules, le droit du plus fort. « Les années qui ont suivi la guerre de 1870 ont été une période d’humanitarisme ; aujourd’hui, ces années apparaissent comme une période de sensiblerie ridicule et stupide. On se pique d’être