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la mission de Nansen, dans le Nord. Leur chair quoique noire et coriace était bienvenue auprès de gens réduits, pendant de longs mois, au régime exclusif des conserves. Quant à l’épaisse couche de lard qui les enveloppe, les marins la débitaient en briquettes qui, durcies par le froid, fournissaient un combustible maniable et excellent.

Le tableau de la vie dans la Région antarctique est maintenant achevé ; ou, du moins, l’esquisse de ce tableau. Nous connaissons la population animale et végétale de ses quatre paysages. Pour le premier, l’inlandsis, c’est-à-dire la couverture glaciaire qui s’étend partout sur le continent austral, sa situation est réglée d’un mot : il n’y a rien. Il est stérile et désert. — Le second paysage, — la banquise, — mal peuplé au-dessus de sa surface, l’est au contraire très richement au-dessous. — La troisième partie est constituée par les terres découvertes. En dehors des pentes rocheuses, trop abruptes pour que la neige puisse s’y fixer, ou des parois tout à fait verticales des falaises, cette zone ne comprend que quelques plages étroites, ou quelques îles basses dont la glace fond pendant l’été. C’est là sur ces maigres espaces où la nature est un peu moins inclémente que se réfugie, comme nous l’avons vu, la foule des êtres vivans. La dernière partie, c’est la haute mer : mais elle n’a qu’une frontière fictive, et il n’y avait à l’examiner qu’au voisinage de la banquise.

La comparaison des faunes et des flores australes, avec celles du pôle boréal, a mis en lumière leur remarquable spécialisation, pour tout ce qui vit au-dessus de la banquise ; et, au contraire, leur parfaite ressemblance pour tout ce qui vit au-dessous. C’est le signe que la diffusion et les migrations des espèces vivantes ont un meilleur instrument dans le milieu aquatique que dans le milieu aérien.

Mais il y a, en ce qui concerne la Région arctique, un chapitre qui reste tout entier à constituer. Les continens tempérés y passent graduellement à la zone polaire. Il serait intéressant de voir comment, dans ce passage graduel, se modifient les espèces sédentaires, tant animales que végétales. Et c’est ce que les botanistes ont commencé de chercher. Il s’agit là d’une question de physiologie qui s’éclaire petit à petit et que nous aurons peut-être à examiner quelque jour.


A. DASTRE.