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qui commença exactement le 14 mars, avec le même sentiment que nous éprouvons, dans nos climats, quand nous voyons s’éloigner les hirondelles.

Les manchots sont des animaux monogames et sociables. Dans quelques espèces, ils s’assemblent pour nicher et élever leur famille en commun ; ils constituent alors de véritables villages, que l’on appelle des Rookeries[1]. M. Racovitza a observé des villages de ce genre, non plus sur la banquise elle-même, mais en deçà, dans le détroit de Gerlache ces sociétés étaient formés par deux espèces qui ne s’aventurent que sur la lisière de la banquise, et non point assez avant, comme les précédentes. C’étaient le manchot antarctique et le manchot papou.

Ce ne sont point toujours des sociétés tranquilles, ni surtout silencieuses. L’approche d’une nursery de manchots antarctiques est révélée de loin par le bruit qui s’y fait. C’est le bruit des querelles violentes qui s’élèvent continuellement entre ménages voisins. Quand on les observe de loin, on les voit s’invectiver, en quelque sorte, de nid à nid, le bec ouvert, les plumes hérissées, avec des gestes menaçans de leurs moignons d’ailes rudimentaires. Si l’on approche davantage, c’est contre l’envahisseur que se tourne la fureur universelle, la menace et l’invective assourdissantes.


Les villages de manchots papous sont plus calmes. Par contraste avec les manchots antarctiques qui sont des agités, ceux-ci sont des flegmatiques. M. Racovitza a pu s’asseoir au milieu d’eux sans les déranger. Après avoir donné certaines marques d’étonnement et élevé quelques protestations d’un ton mesuré, les animaux reprirent leur train de vie ordinaire et vaquèrent à leurs occupations sans plus s’inquiéter du visiteur importun qui les observait. Cette société était une sorte de garderie de jeunes, une véritable crèche. Les petits étaient groupés au centre : quelques

  1. Les oiseaux qui vivent en troupes ou en compagnies se séparent ordinairement pour la nichée et la ponte, actes en quelque sorte plus isolés et plus secrets de la vie de l’espèce. Mais il y en a qui, à cette époque, resserrent au contraire davantage le lien social et se groupent en familles pour la mise au monde et l’éducation des petits. C’est le cas de ces corbeaux de petite taille que l’on connaît, dans nos campagnes, sous le nom de freux, et qui, au moment de la ponte, s’assemblent en familles, nichant sur les mêmes arbres. Ces colonies de freux se nomment rookery en Anglais, du mot même qui désigne le freux, rooker. On l’a étendu à toutes les sociétés du même genre, et, enfin, aux colonies de manchots.