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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Allant, venant, prisonnier libre, il vécut des heures tumultueuses, hanté par une succession de visages, dont certains l’obsédaient. Il errait comme un somnambule.

Du temps s’écoula… Un tirailleur de Flourens saigne du nez. Un gros chien remuant la queue furète partout, cherchant son maître. Une nouvelle poussée de gardes nationaux ! Ils montent sans trop de résistance. Ce sont des bons, du 17e. Charles Ferry est encore avec eux. Ils occupent un salon, mettent des sentinelles aux portes de la salle du Conseil et de celle de Blanqui. Ils arrêtent et déchirent au passage les ordres de la Commune. Les insurgés finissent par s’en rendre compte, crient : — Aux revolvers ! — Blanqui et Flourens se montrent, s’enquièrent. Le commandant du 17e ordonne ; — Empoignez-moi le citoyen Blanqui ! — Une lutte. Un petit vieux qui semble n’avoir que le souffle se débat, secoué, tiraillé, écartelé. On voit blêmir sa face grisâtre où proémine un grand nez cassé, sur une bouche démeublée. Un vaste front, des yeux où l’idée brûle. Son col est arraché, sa houppelande se déchire. Un coup de pistolet éclate. Où est Thérould ?…

… Ailleurs, ce grand vieillard ascétique, à l’air orgueilleux et fin sous des cheveux blancs, c’est Delescluze. Il parle avec un chef de bataillon de la garde nationale couvert de boue. Autour d’eux, des gens à mauvaise mine. Ils murmurent : — C’est un commandant qui accourt des avant-postes. — Aussitôt des vivats. — Il faut y aller aussi ! Il faut sortir ! La levée en masse ! — Exécutez les lois, dit l’officier, les hommes de vingt à vingt-cinq ans au combat, de trente-cinq à quarante-cinq dans les forts, les vieillards derrière les remparts. — Un tonnerre d’applaudissemens. On veut le proclamer général en chef…

… Martial est maintenant dans la salle du Conseil. Comment, déjà minuit ? Voilà Blanqui, délivré, qui réapparaît, le cou nu, les vêtemens en désordre. On l’accable de poignées de mains, on lui fait fête. Il s’asseoit à la table avec Delescluze, Flourens, Minière et un homme blême qui est Banvier. L’ascendant tranquille de Blanqui, sa voix grêle, mais nette, annoncent le maître. Sa plume grince sur le papier. Il signe des ordres, des ordres. Il réglemente l’émeute. Au bout de la pièce, dans l’embrasure d’une des deux fenêtres sur la Seine, les prisonniers sont réunis, assis sur des chaises, plongés dans leurs réflexions. Garnier-Pagès et le général Tamisier se taisent, Jules Simon échange un