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nourrit de charogne ; c’est à lui qu’est dévolue la fonction de nettoyer la banquise des cadavres des oiseaux et des phoques qui y sont abandonnés.


Les plus bizarres des habitans emplumés de la banquise sont les manchots. M. Racovitza en a trouvé deux espèces, comme hôtes habituels de la surface glacée. C’étaient le Manchot de Forster et le Manchot de la Terre Adélie.

Le Manchot de Forster est le plus grand des représentans de ce genre. Les Anglais l’appellent le Pingouin impérial. Sa taille dépasse un mètre lorsqu’il est debout sur ses pattes, ce qui est son attitude habituelle. C’est le géant des oiseaux marins. La poitrine et le ventre sont ornés d’un plastron d’une éblouissante blancheur : le dos et les ailes dessinent une sorte d’habit noir à taches bleues. Le plumage qui coiffe la tête est noir. On ne peut s’empêcher, lorsqu’on l’aperçoit debout sur le bord d’un chenal, la tête enfoncée dans les épaules, immobile dans sa graisse, indifférent au froid contre lequel le protège à la fois sa chaude toison et l’épaisse couche de graisse qui la double, de le considérer comme une énorme caricature humaine qui serait l’image de l’indifférence béate et satisfaite. Il est bien vêtu ; il est bien nourri ; la table est toujours mise pour lui. Il n’a qu’à descendre dans le chenal et à plonger dans les bancs d’Euphausia pour se rassasier à souhait. Il n’est pas dérangé par le voisinage de l’homme et il ne commence à regimber que lorsqu’on lui met la main au collet, pour l’emmener.

Cet oiseau, dont la chasse est ainsi singulièrement simplifiée, est d’une précieuse ressource pour les explorateurs des régions polaires. Il fournit une viande qui est suffisamment savoureuse et surtout une graisse très abondante. On connaît cette espèce depuis le voyage du grand navigateur Cook ; le naturaliste de l’expédition, Forster, l’a décrit, en 1775. Mais les compagnons de Gerlache l’ont observé plus longtemps et ont mieux fait connaître ses mœurs et ses habitudes.


Un autre animal du même genre, le Manchot de la Terre Adélie, a été découvert par Dumont d’Urvilie en 1841 et décrit par Honbron et Jacquinot ; il est plus petit et plus vif. Il se déplace en marchant péniblement, ou, lorsqu’il veut aller plus vite, il glisse sur le ventre en s’aidant de ses pattes.