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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Méjean allait trop loin. Qui sait ? la garde nationale finirait par arriver ! Tout se dénouerait pacifiquement. Cette horreur de la guerre civile, plutôt que d’amoindrir Trochu, l’honorait. Illusion certes, mais noble. L’archiviste continua :

— Si vous aviez vu l’envahissement du Conseil municipal, une bande menée par Delescluze et Tibaldi ! Ils ont enfoncé à la hache la grande porte du bas, et, grimpant par l’escalier en fer à cheval, ils ont fait place nette, saccageant fenêtres, banquettes et pupitres. En un clin d’œil, plus de maires. Ces Tibaldiens, quelles brutes !

Une clameur lointaine, qui venait de l’intérieur du palais, les fit se regarder. À ce moment une bousculade les sépara. On entendait un bruit montant de tambours battant la charge ; Martial suivit des Bellevillois qui couraient. Il était dans le vestibule de tout à l’heure. Subitement, du grand escalier, précédés des tambours roulant, un chef de bataillon et des gardes nationaux du 106e s’élancèrent. Ils se heurtèrent à la porte close de la salle du Conseil, et après sommations l’enfoncèrent. Mais, à l’intérieur, l’entassement était tel que seuls, le commandant, le porte-drapeau et quelques hommes purent pénétrer. Collé contre un mur, Martial interrogea un des arrivans : Charles Ferry était avec eux, ils étaient du 7e secteur, et conduits par M. Ibos. Inquiets de leur chef, ils s’impatientaient déjà devant la porte refermée, et, l’enfonçant une seconde fois, un plus grand nombre pénétra. Le hourvari ne cessait pas. Un petit sergent, resté dehors, grimpa sur les épaules de ses camarades, et de là put commenter la scène interminable. De longues minutes d’attente, des phrases brèves : les Tibaldiens harangués par Flourens veulent à tout prix faire feu ; le commandant Ibos monte aussi sur la table, il commence un discours. Soudain la table se rompt en deux, Ibos bascule et tombe. Remonté sur l’autre moitié, Flourens parle toujours. La situation empire. On parle de conduire les prisonniers à Mazas, de les fusiller en route. Le commandant fait un signe, les gardes se massent d’un seul côté, contournent la table… — Attention ! dit le sergent. Ils se rapprochent des membres du gouvernement ! Ils les enlèvent !… et, dégringolant, il rallia sa troupe, fit la haie. Dans une confusion, un tumulte, au milieu des coups de poing, Martial vit passer, emporté à bras, le général Trochu, un képi de garde national sur la tête. Les hommes du 106e enserraient Jules Ferry, Emmanuel Arago. Mais le flot se referma, barrant la fuite aux autres. Sous les im-