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gigantesque et extraordinaire ne paraît pas remonter à une très haute antiquité. En honneur surtout au XVIe siècle, elle semble avoir été vulgarisée par les Suisses et les Allemands. Dans les corps de lansquenets, on comptait toujours quelques joueurs d’épée, comme on disait ; mais cette arme, répandue partout sous le nom de claymore, de montante, de spadone, de schwerdt, suivant les pays, était surtout germanique et suisse ; on s’en est servi encore au siècle dernier.

De nos jours existent des associations où l’on se livre à l’escrime difficile de cette épée que les Bohémiens errans de l’Inde portent toujours pendue en sautoir sur le dos, comme les Allemands au XVIe siècle. Au reste, quand on s’occupe d’armes, on est toujours ramené vers l’Inde, tant en cette région les us des vieilles civilisations sont lents à disparaître. En contemplant les harnais hongrois je croyais, à chaque instant, voir des équipemens du Penjab. Les lormiers de Srinagar travaillent aujourd’hui leurs cuirs, les selliers et les brodeurs du Guzerat assemblent et habillent leurs selles, exactement comme les chapuiseurs hongrois construisaient leurs bâtes et leurs arçons. À examiner la collection extraordinairement nombreuse et composée d’objets bien choisis que la Hongrie a exposée, dans cette catégorie des harnachemens, on ne peut s’empêcher de regretter les modèles anciens si pratiques que la mode anglaise a fait bannir à jamais de l’Europe, mais que l’on aime à retrouver dans les régions asiatiques où l’homme vit, combat et dort à cheval. Depuis la selle d’armes à vaste siège rembourré, aux palettes d’arçon et de troussequin bardées d’acier, chère aux hommes d’armes durant les XVe et XVIe siècles, jusqu’aux selles à piquer du XVIIIe siècle habillées de velours ou de brocart, on trouve là toutes les formes usuelles, sans compter les grandes selles et de joute et de tournoi. Mais toutes se rapportent aux modèles occidentaux. C’est dans les objets purement hongrois que nous retrouvons l’influence asiatique la plus caractéristique, car le Hongrois est, avant tout, un coureur oriental. Regardez ces housses couvertes de modillons dorés, ces têtières bosselées de turquoises, ces chabraques qui disparaissent sous les broderies, ces selles à courts quartiers, à arçons de « selle turcique, » et vous croirez voir autant de caparaçons du Penjab, du Guzerat ou du Sind. Tout cela laisse ruisseler la splendeur, l’éclat du « luxe asiatique, » comme peuvent le dire tous ceux qui ont assisté aux fêtes