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aux temps passés. On s’est trop pressé de généraliser, avant même que de posséder les premiers principes. Et c’est en cela que Viollet-le-Duc et son école auront été particulièrement funestes. Leurs restitutions l’ont encore mieux prouvé que leurs écrits. A les en croire, tout, à travers le temps, aurait obéi à des règles fixes, qu’ils ont déduites a priori et énoncées comme axiomes. Leur souci continuel d’établir, d’une part, l’origine française des armes qu’ils rencontraient dans les collections et qu’ils dataient d’après une critique dont la direction maîtresse était essentiellement romantique, et de ranger, d’autre part, toutes ces armes dans des catégories réglementaires, les a menés aux pires erreurs.

S’affranchir de ces préjugés ne sera pas un mince labeur, et l’exposition du Petit Palais sera, ici, utile à plus d’un titre : elle prouvera que, si le génie français a tenu une place importante, ou prédominante à toutes les époques, dans les divers arts, celui de l’armurerie lui a été à peu près étranger. Ce n’est pas d’aujourd’hui, par exemple, qu’on fait venir les bonnes lames de Solingen ; on avait cette habitude depuis des siècles. Les foires de Champagne et de l’Ile-de-France, pour ne parler que des principales, étaient alors d’immenses marchés cosmopolites où chaque nation envoyait ses produits. Les matières premières arrivaient souvent de loin jusqu’aux pays de manufacture. C’était avec des aciers de Styrie que se forgeaient les belles épées de Tolède, et la contrefaçon allemande se donnait cours sur ces précieux articles. Quant aux armures, de tout temps, les belles pièces se fabriquaient en Italie et en Allemagne. Les rois des Plattners, des batteurs de plates, furent, au XVIe siècle, les Negroli de Milan et les Coleman d’Augsbourg. Aucun Français ne leur tint pied à cette époque. Au reste, le luxe des armes a dû toujours être assez médiocre, en France, comparé à ce qu’il était en Italie et en Espagne, voire dans l’Europe centrale. Je doute fort qu’un roi de France, Valois ou Bourbon, ait jamais possédé des armures comme celles de Charles-Quint ou de Philippe II. L’examen des quelques objets exposés convaincra, je pense, les plus incrédules sous ce rapport.


I

En bonne justice, la première place dans notre admiration doit être réservée à l’Espagne. Sans autre épithète, c’est un