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fut ainsi composée presque tout d’une traite. Et ce n’était que le premier des sept poèmes que Péhant avait entrepris à la gloire de la Bretagne. Encore une fois, il fallait être de race celtique pour oser s’attaquer, à cinquante ans, — après trente ans de silence, — à une œuvre pareille. Disons tout de suite que les deux volumes de Jeanne de Belleville sont tout à fait remarquables, en dépit des négligences de versification dont s’accusait l’auteur lui-même, et qu’il comparait très judicieusement aux bavures d’une fonte trop hâtive.

Ce premier poème est consacré à l’Enfance du connétable (Olivier de Clisson) sous la tutelle de son héroïque mère Jeanne de Belleville. Olivier de Clisson, invité par le roi avec d’autres seigneurs bretons, s’est rendu à Paris pour prendre part à un tournoi donné en l’honneur du mariage de Philippe Duc d’Orléans, second fils du prince Philippe de Valois. Au sortir du tournoi où il a fait maintes prouesses, « il fut pris, dit Froissart, et mis en prison au Châtelet de Paris. » Il était accusé de s’être allié, par foi baillée, au roi d’Angleterre Edouard III, ennemi du roi de France. Historiquement, la trahison n’est rien moins que prouvée ; le poète avait le droit de supposer l’innocence du père de son héros.

Innocent ou coupable, Clisson, victime d’un guet-apens royal, lut décapité à Paris : son corps fut pendu aux fourches de Montfaucon et sa tête, portée à Nantes, fut exposée au bout d’une lance sur une des tours de la ville. Jeanne de Belleville conduisit ses fils sous les murs de cette tour : « Voilà, leur dit-elle, la tête de votre père ! Jurez avec moi de le venger ! » Et élevant vers le ciel les mains des deux orphelins, elle leur fit prononcer ce serment. L’aîné de ces enfans avait sept ans ; c’était Olivier de Clisson, futur connétable de France. Cachée jusque-là dans la vie de famille, étrangère aux luttes des partis, Jeanne de Belleville, à partir de ce moment, ne respire plus que la vengeance. Accompagnée de son fils Olivier, elle enlève successivement six châteaux forts du parti de Charles de Blois et de la France et passe leurs garnisons au fil de l’épée. Traquée sur terre, elle équipe un vaisseau, coule bas les navires français qu’elle rencontre et dévaste les côtes. Après la perte de son navire, errant six jours dans une chaloupe avec ses deux enfans et trois serviteurs fidèles, elle vit son plus jeune fils mourir de faim entre ses bras. Elle aborda enfin au port de Morlaix, qui tenait pour le parti de