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Le pauvre petit écolier qui, homme, a trouvé dans une boutique de libraire ce que vous appelez avec tant de raison « un refuge contre la poésie, » « un point d’appui solide, » est heureux plus qu’il ne pourrait vous le dire de vous retrouver après une si longue absence ; d’évoquer, grâce à vous, les plus chers souvenirs de sa jeunesse ; de pouvoir vous exprimer enfin sa reconnaissance pour tout le bien que vous fîtes, au bon moment, à son esprit, et a son cœur ; pour l’excellente direction que vous donnâtes à ses idées, à ses sentimens, à ses études. Soyez-en mille et mille fois remercié, cher Breton.

Le bon Dieu a voulu que votre écolier ait été le promoteur de cette renaissance de la gaie science provençale, dont vous avez ouï parler sans doute ; que ses premiers vers provençaux aient préludé à des chants qui ont ému l’Europe littéraire, on peut le dire ; qu’il fût en quelque sorte le père de toute une pléiade de poètes, de félibres aimant et chantant leur Provence, comme vous aimez et chantez votre Bretagne, comme l’aimait et la chantait Brizeux qui, au début de mon œuvre, me donna tant et de si pieux encouragemens. Dieu soit béni !

Adieu, monsieur et cher vaillant maître, quoique fort occupé par des articles d’étrennes, j’ai tenu à vous écrire tout ceci, quittant et reprenant la plume, entre une vente et une autre, parce qu’il me tardait de vous exprimer lant bien que mal les bons sentimens que je vous garde depuis si longtemps. Il ne vous sera pas difficile de vous convaincre que ma plume va ex abundantia cordis et écrit un français provençal. Je réclame toute votre indulgence, comme la réclamaient à cor et à cri les vers latins, les versions et thèmes que vous me corrigiez en l’an de grâce 1838.

Agréez, monsieur et cher maître, l’hommage de mes plus affectueux sentimens.

J. ROUMANILLE.[1].


Cette lettre, qui ne pouvait manquer de réjouir le cœur de Péhant, lui fut adressée malheureusement trop tard, et c’est sa veuve qui la reçut. En la publiant à cette place, j’ai voulu montrer que le professeur chez ce Breton dépaysé était à la hauteur du poète, et qu’à Tarascon comme à Vienne, il avait été le semeur des récoltes futures.

En 1838, il était de retour à Paris, et c’est là que le 1er avril il reçut des bords du Rhône la lettre que voici :


Vienne, 1er avril 1838.

Mon cher Péhant,

Vous êtes donc bien paresseux, ou est-ce que vous m’avez tout à fait oublié ? De sorte que si je n’avais pas appris votre adresse par hasard, tout était fini entre nous, et il fallait me résigner à ne plus vous considérer que

  1. Lettre inédite.