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Emile Péhant était resté chrétien. En cela encore, il se montrait le digne élève d’Alfred de Vigny. Mais son christianisme, comme celui de son maître, était par-dessus tout une religion de pitié, de tendresse, de miséricorde. Depuis qu’il avait lu Eloa, les peines éternelles révoltaient sa sensibilité. Se pouvait-il que Dieu laissât pour toujours au fond de l’abîme un ange du ciel né d’une larme de Jésus, coupable seulement d’en avoir voulu tirer Satan ? La question hantait l’esprit songeur du jeune poète, qui la résolut par la clémence ou la suppression de l’enfer, longtemps avant qu’Alfred de Vigny eût pensé à donner la même fin à son poème.

Eloa était un « mystère : » Le Corps et l’Ame, dans l’esprit de Péhant, était un « symbole. » C’est sous ce titre qu’il exposa sa thèse, en lui donnant la forme d’une idylle partagée en dix-sept sonnets, dont quelques-uns sont fort beaux.

Deux jeunes gens s’aiment à la passion, à la folie, mais leur amour n’est pas de même essence. La jeune femme est spiritualiste et voudrait


Rapporter tout à Dieu de qui nous tenons tout,
Afin que, comme on voit deux rayons de lumière,
Ensemble descendus au cristal d’une aiguière,
Ensemble remonter quand le vase est brisé,
Nos deux âmes aussi, de Dieu double étincelle,
Puissent, en s’enfuyant de notre corps usé,
S’envoler à la fois vers l’âme universelle.


Le jeune homme est athée et lui répond :


Amasser pour le ciel, c’est perdre des trésors.
Avant donc de mourir, épuisons nos transports :
Viens, ô ma bien-aimée, oh ! je t’en prie en grâce,
Viens enivrer mes sens du parfum de ta grâce ;
Notre amour est trop pur pour donner des remords.


Leur bonheur, dit le poète, avait ainsi


une source opposée ;
Lui, courbé vers la terre, elle montant aux cieux,
Il vivait de la sève, elle, de la rosée.


Sur ces entrefaites, le jeune homme tombe gravement malade. Le voyant perdu, la jeune femme sanglote et lui dit tout bas à l’oreille :