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de la poésie personnelle ; et la note qu’ils font entendre, nous l’avons déjà entendue dans les Méditations ou dans Joseph Delorme. C’est toujours la plainte du malheureux qui souffre et se désespère, mais ici la souffrance est surtout physique, le cri qui domine est le pire de tous, puisque c’est le cri de la misère et de la faim.


 

LA PAUVRETÉ


Mes bons et chers pareils, mes bons et chers amis,
Comment à vos conseils n’ai-je pas voulu croire ?
Comment ai-je quitté les bords de notre Loire ?
Moi qui vous aimais tant, comment vous ai-je fuis ?

C’est que mon front voulait des lauriers à tout prix,
C’est qu’un spectre de feu passait dans ma nuit noire,
Qui me criait de loin : « Suis-moi, je suis la Gloire,
Suis-moi sans plus tarder, je t’attends à Paris. »

Hélas ! j’y suis venu sans nulle défiance,
Et, le front couronné des fleurs de l’espérance,
J’ai bondi dans ma joie et dans ma liberté.

Mais le spectre bientôt, jetant au loin son masque,
A retourné vers moi sa face maigre et flasque,
Et je l’ai reconnu. C’était la pauvreté.


LA FAIM


Vous qui m’avez connu dans ma jeunesse heureuse,
Le visage si plein et le teint si fleuri,
Et qui voulez savoir pourquoi ma joue est creuse,
Pourquoi mon front est pâle et mon corps amaigri ;

Peut-être vous croirez qu’une flamme amoureuse,
En me brûlant le sang, l’a seule ainsi tari,
Ou que c’est du travail la lampe douloureuse
Qui, troublant mon sommeil, à ce point l’a flétri.

Oh ! ce n’est point cela qui me tue et qui m’use ;
Que m’importent l’amour, et la gloire et la muse ?
Ce n’est pas pour si peu que je serais changé.

Oh ! non ; si vous voyez ma figure si hâve,
Ma lèvre si livide et mon regard si cave,
C’est que voilà trois jours que je n’ai pas mangé.


On comprend mieux maintenant pourquoi le jeune poète applaudissait avec tant de cœur au succès de la pièce de