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baigneurs l’ont semé de chalets de tous les styles et de toutes les couleurs. Quand on pénètre dans la presqu’île en venant de Saint-Nazaire et qu’on embrasse du regard tout le triangle compris entre les clochers de granit du Croisic, du Bourg de Batz et de Guérande, l’œil n’est-arrêté, entre ces hautes tours, par rien qui puisse le distraire ou seulement l’arrêter. Il semble que le feu du ciel ait passé par-là, tant le sol est brûlé. Pas un arbre, fût-il tordu par le hâle, pas une haie, pas un bouquet de verdure. Le désert ne doit pas être plus triste. Et c’est un désert aussi que cette vaste étendue de terrain, couleur de tourbe, où le vent fait rage, mais un désert d’eau marine, au lieu d’être un désert de sable, car la mer l’envahit de plusieurs côtés à marée haute pour alimenter les salines où les paludiers font la cueillette du sel.

Tel est le spectacle qu’on a devant les yeux sous les remparts de Guérande. La légende veut que la mer ait baigné le pied de ces murs du temps que les évêques de la ville haranguaient le peuple et les seigneurs du haut de la chaire extérieure de l’église Saint-Aubin. A présent, elle en est éloignée de près de deux lieues. Mais on la découvre admirablement tout de même pardessus les gros villages qui bordent la côte, et sa nappe bleuâtre, qui le plus souvent est couverte de brume, ajoute encore à la mélancolie qui se dégage de l’air ambiant de la presqu’île guérandaise.

C’est dans cette petite cité bretonne, enfermée comme au moyen âge dans sa ceinture de pierre, que Péhant vint au monde, le 19 janvier 1813. On lui donna les prénoms d’Emile-Jules-Fulgence. A cinq ans, il perdit son père. Sa jeunesse se ressentit cruellement de la gêne où tomba sa mère, restée veuve avec trois enfans. Cependant, comme il était doué d’une intelligence très précoce et qu’il avait grande envie d’apprendre, Mme Péhant[1], qui avait obtenu par faveur un bureau de tabac et qui possédait une certaine culture, le mit d’abord au petit séminaire de Guérande, où il fit la plus grande partie de ses études, et puis au lycée de Nantes, où il les termina de la façon la plus brillante. Après quoi, il prit la diligence de Paris sous prétexte de faire son droit, en réalité afin de tenter la fortune dans la carrière des lettres. Il

  1. Mme Péhant était une demoiselle Etiennez. Sa mère, née de Percy, était la nièce propre de Madame et de l’abbé de Percy, que Barbey d’Aurevilly a mis en scène dans son roman du Chevalier des Touches.