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dévouement au parti qui vient de vaincre dans les élections, les gouverneurs des États dont le vote a assuré la victoire, suivis de leurs états-majors étincelans de dorures, tous à cheval. A leur suite apparaissent les députations des clubs politiques[1] qui ont travaillé au succès de la campagne. Venues de tous les points du territoire, quelques-unes auront fait cinq ou six jours de voyage pour réclamer leur place dans cette procession triomphale. Chacune y forme un bataillon spécial, avec ses bannières et ses drapeaux où se lisent son nom et celui de ses chefs, avec son costume distinctif, sorte d’uniforme civil, destiné par l’étrangeté de sa coupe ou la bizarrerie de son ornementation à fixer l’attention de la foule et à solliciter ses applaudissemens.

C’est la partie la plus pittoresque et aussi la plus significative du défilé. L’effet produit par ces délégations n’est pas toujours heureux et l’excentricité dont elles font trop souvent étalage jure fâcheusement avec l’aspect général de la cérémonie, en elle-même très imposante. Quand une compagnie de ces « clubmen » par exemple, alignés comme des soldats en manœuvre, la main posée sur un gigantesque gourdin, semble se faire un point d’honneur d’évoquer par l’amplitude de ses collets noirs le souvenir des conspirateurs d’une opérette célèbre, on peut trouver que cette exhibition, quelque amusante qu’elle soit, serait avantageusement rayée du programme[2]. Mais l’ensemble laisse malgré tout une

  1. D’après l’énumération qui en a été donnée à cette époque par un journal américain, près de cent de ces clubs étaient représentés à l’inauguration du 4 mars 1897.
  2. Dans un intéressant article publié en 1897 par le Harper’s Monthly Magazine, peu de temps après l’inauguration du président Mac-Kinley, un auteur américain qui a marqué sa place parmi les écrivains les plus estimés de la jeune génération, M. Richard Harding Davis, portait le jugement suivant sur les députations civiles qui, cette même année, avaient pris part au défilé du 4 mars :
    « On doit reconnaître l’importance des organisations politiques, et, dans nombre de cas, elles ont leur raison d’être et leur justification… Mais quand trois cents personnes marchent sous une bannière portant le nom et reproduisant les traits de quelque politicien, le spectateur est amené à penser qu’il n’a plus devant lui une république où chaque citoyen est supposé voter librement, mais une féodalité avec ses barons, leurs serfs et leurs vassaux… Tout le monde peut être fier de figurer dans les rangs d’une Société qui se pare du nom d’un Américain qui a fait quelque chose pour son pays, qui a vécu et qui est mort pour une grande idée. Mais pourquoi porter le collier d’un patron (boss) dans une cérémonie publique et se faire précéder d’une musique tapageuse pour attirer plus sûrement l’attention ? Parmi ceux qui défilaient ainsi le jour de l’inauguration, on pouvait reconnaître, nous ont dit les journaux, des hommes d’affaires en vue, des avocats, des banquiers. Beaucoup d’entre eux paraissaient certainement appartenir à ce milieu social, mais si leur intelligence est réelle, comment ne voient-ils pas à quel point il est antidémocratique et anti-américain d’abdiquer leurs consciences aux mains d’un seul homme ? Une de ces sociétés, de près de mille membres, avait arboré cette devise : « Nous suivons Quigg partout où il nous conduit. » M. Quigg est peut-être, est probablement même, un jeune homme plein de bonnes intentions, mais pourquoi un millier d’individus font-ils un long voyage pour venir proclamer à Washington, en face des représentans de toutes les parties de l’Union, qu’ils ont cessé d’être de libres Américains, investis du droit sacré de voter à leur guise et qu’ils ne sont plus que de simples instrumens à la disposition de M. Quigg ? »