Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élections anglaises elles-mêmes, pourtant si dispendieuses, ne peuvent donner aucune idée. Les chiffres que nous avons cités plus haut deviennent par suite moins invraisemblables.

Le grand mal vient surtout de l’absence de contrôle dans l’emploi des ressources mises à la disposition des comités et de leurs ressortissans, car elle autorise toutes les suppositions. Des milliers d’intermédiaires, recrutés souvent à l’aventure, et dont nul ne peut surveiller la gestion, voient pendant plusieurs mois couler entre leurs doigts un Pactole, dont la source semble intarissable, sans autre consigne que de le répandre à leur tour pour le plus grand bien du parti. On devine ce que peut être une comptabilité établie sur ces principes[1].

L’Amérique n’est pas le seul pays où les consciences sont insuffisamment cuirassées contre les tentatives de ce genre, mais c’est celui où ces séductions peuvent se multiplier le plus librement. Les scandales de Tammany, pour se borner à cet exemple, ont montré dans le passé l’extension qu’avait pu prendre, un moment à New-York, le trafic des bulletins de vote. On risquerait néanmoins de s’éloigner tout autant de la vérité en généralisant ces accusations qu’en se refusant à admettre qu’elles soient partiellement justifiées. Ces campagnes électorales laissent surtout, — qu’on nous passe le mot, — l’impression d’un effroyable « coulage, » et il est douteux que les comités en aient, comme on dit vulgairement, pour leur argent. Les deux partis employant d’ailleurs les mêmes procédés, il est vraisemblable que les effets en sont le plus souvent neutralisés et qu’ils n’influent pas sensiblement sur les résultats du scrutin.

D’où sortent les fonds nécessaires à ces ruineuses campagnes ?

  1. Les journaux américains, qui sont les premiers à dénoncer ces fâcheuses pratiques, se contentent de signaler le mal sans paraître croire à la possibilité d’y remédier.
    «… Il y a dans chaque district des États-Unis, disait à ce propos le World, le 8 août dernier, au moins deux comités de campagne (campaign Committees) recevant de comités supérieurs des sommes d’argent pour les besoins électoraux. Ces sommes s’élèvent dans les années ordinaires à des centaines de milliers de dollars, à de nombreux millions dans les années présidentielles. Or ceux qui les perçoivent et les distribuent n’ont de comptes à rendre à personne. Jamais ils n’ont à produire un reçu, une note, une pièce justificative quelconque ! Ceux qui donnent l’argent ne savent pas et ne désirent pas savoir l’usage qui en est l’ait. Tout ce qu’ils demandent c’est le « résultat, » c’est que l’élection soit enlevée.
    Il n’y a pas le plus léger doute, poursuit le World, qu’une large part de ces sommes mystérieuses soit affectée directement ou indirectement à des tentatives de corruption, sous forme d’achat ou de sophistication de votes. Toute une horde de politiciens parasites trouve moyen d’en vivre. »