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d’être possédés, aux joies légitimes, de s’en priver pour en devenir généreux, de pousser jusqu’au sacrifice de soi l’amour des autres. C’est à une immolation si contraire à la nature qu’il reconnaît ses véritables disciples : elle est l’imitation la moins imparfaite du rédempteur, elle est l’exemple le plus efficace qui puisse émouvoir les cupidités sans scrupules, et elle est le secret souverain pour rendre la société moins inique, plus douce, plus humaine, car tout ce qui diminue l’égoïsme étend la paix.

Cette fraternité n’est pas enseignée seulement aux doctes, aux riches, aux puissans, mais aux hommes de toutes conditions : elle ne doit pas s’exercer au profit de la minorité qui domine l’ordre social, mais au profit de la multitude qui le soutient. Le Christ sait les plus humbles capables de comprendre ce qu’ils ont intérêt à connaître, et sa sollicitude s’adresse avec prédilection aux ignorans et aux pauvres, parce qu’étant le nombre et l’infortune, ils ont un double droit de préséance.

Des devoirs qui sont prescrits par Dieu ne sauraient être subordonnés à la volonté des plus puissans parmi les hommes. L’autorité du prince, jusque-là maîtresse absolue des peuples, et qui se servait des religions mêmes pour obtenir obéissance au mal, se voit assigner son domaine et ses limites. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Cette réforme enfin n’est pas préparée à une seule nation. L’égoïsme de la race est combattu par le Christ comme l’égoïsme de l’individu. L’orgueil juif, le plus intraitable de tous, et qui croit avoir droit aux préférences de Dieu même, est sans cesse abaissé par le Christ. Les représentans des races méprisées, le Samaritain, la Chananéenne, le centurion deviennent des modèles proposés à l’imitation d’Israël. Par ces leçons est condamnée toute prétention superbe qui tiendrait à diviser les peuples. Les différences de la place qui leur a été assignée dans l’univers, de la couleur que le soleil laisse sur leur peau, de la langue qu’ils parlent, des mœurs qu’ils se transmettent, ne sauraient effacer le caractère commun de créatures faites par un seul auteur, formées des mêmes instincts, éclairées de la même conscience, appelées à la même destinée. Et la marque de Dieu imprimée sur son œuvre et qui est la seule dignité vraie de l’homme, destine le genre humain à pratiquer la même morale, à vivre sous la même loi. Et le Christ indique l’universalité de cette loi par sa dernière parole à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations. »