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moins malfaisant, l’immense empire a gardé la marque de toute civilisation idolâtrique : la séparation ne s’est jamais comblée entre une oligarchie accapareuse de tous les avantages et tout le reste des multitudes méprisées. Tout le progrès a été que cette élite, au lieu d’être héréditaire comme dans l’Inde, fut viagère. Au lieu d’appartenir à une caste de nobles, la Chine appartint à une caste de lettrés et tous les droits appartinrent à l’intelligence, mais cette intelligence, indifférente au sort des peuples et méprisante pour la grossièreté des multitudes, ne travailla que pour elle-même. Les lettrés mirent leurs efforts à n’avoir pas la même religion que les ignorans ; ils ont gardé jalousement pour eux la doctrine de Confucius, qu’ils ont corrompue, et, à l’heure présente encore, il leur plaît qu’eux exceptés, quatre cents millions d’hommes égarent et avilissent leur instinct religieux dans des pratiques pleines de superstitions et vides de croyances.

Dira-t-on que, du moins parmi les Grecs, les castes furent ignorées et que régnait l’égalité civique ? Cette démocratie ne fut que la plus étroite des oligarchies, une poignée d’hommes libres qui tint à la chaîne une multitude d’esclaves. Toutes ces républiques n’étaient fondées que sur la servitude. A Athènes, il y avait, disent les historiens contemporains de ce hideux spectacle, quatre cent mille esclaves pour trente mille citoyens[1]. Les Lacédémoniens ne travaillaient que par les mains du peuple ilote, et les massacres réguliers qu’au témoignage de Thucydide ils organisaient par prudence, témoignent combien ces captifs l’emportaient en nombre sur leurs maîtres. Les Thessaliens, mieux pourvus encore de cette richesse humaine, avaient, grâce à la servitude de la nation péneste, tant d’esclaves qu’ils en fournissaient les autres peuples. Nulle part cet état social n’inquiéta la conscience de personne. Nulle part un seul penseur, un seul rêveur pour se demander si un régime où un dixième à peine de l’humanité a ses droits d’homme et refuse ces mêmes droits aux neuf autres dixièmes

  1. Athénée, liv. VI, p. 272, ch. Cf. Wallon. Histoire de l’esclavage, 3 vol., 2e édition, 1878. — Il faut remarquer que ces esclaves étaient des prisonniers de guerre, ou des « métèques » (étrangers domiciliés à Athènes au nombre de 45 000) condamnés pour n’avoir pu payer leurs dettes.

    Platon, Lég., 633. C. — Plut., Lyc, 28.

    Plutarque nomme ce jour de fête à Sparte « ϰρυπτεία (krupteia) ». Les ilotes devaient se cacher pour n’être point tués. Quelques philologues allemands déclarent ce récit inadmissible. La « ϰρυπτεία (krupteia) » n’était, d’après eux, qu’une inspection de police accompagnée de manœuvres et de combats simulés. Cf. Ottfried Muller, Doriens, II, p. 41 (Trad. anglaise).