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aussitôt que le culte. Elles sont inégales en dignité, diverses en fonctions, immuables, et la guerre fournit à cette société les esclaves qui, élevant la grandeur surhumaine des tombeaux et des temples, ont fait à l’antique Égypte son immortalité. Les mêmes divisions de classes et la servitude se retrouvent chez les Assyriens, les Mèdes, les Perses. Dans l’Inde, le mal inséparable de la société païenne devint plus audacieux encore. Les castes ne furent pas seulement établies comme la forme nécessaire de l’ordre social ; ce fut un article de foi que Brahma avait fait sortir les Brahmes de sa tête, les guerriers de sa poitrine, les artisans de son ventre, et la différence entre les castes devint d’essence divine. Aussi elle s’est conservée intacte jusqu’à nos jours partout où la religion brahmique a survécu. Et non seulement elle ne laisse espérer au paria aucun adoucissement à ses humiliations terrestres, non seulement, par l’interdiction de tout contact entre les classes pures et la classe vile, elle abandonne celle-ci à la fange, mais elle perpétue jusque dans l’infini des existences futures cette condamnation. Les castes à jamais ont des demeures diverses, et, pour les misérables, le ciel est aussi inhospitalier que la terre.

Cette loi d’inégalité immortelle était une si horrible injustice, que le désir d’y porter remède suscita le Bouddhisme. Bouddha enseigne que les hommes de toutes castes ont droit au respect de tous en ce monde et, après la vie présente, à la récompense suprême, s’ils sont appelés par leurs mérites à l’état le plus parfait, celui de bonze, c’est-à-dire de pénitent. En opposant à la vocation par la race, qui immobilisait dès la naissance et pour jamais chaque homme dans la prison de son origine, la vocation par la vertu, qui apprenait aux uns à ne pas s’enorgueillir et aux autres à ne pas désespérer, il a accompli une œuvre vraiment libératrice, vraiment digne d’une âme religieuse. Mais s’il tempère l’iniquité des castes, il n’a pas osé les détruire, il ne l’abolit qu’en faveur des bonzes, la moins nombreuse des élites. Et malgré qu’à l’école de Bouddha et de Confucius la Chine ait mis dans ses livres, dans sa langue gouvernementale les plus beaux préceptes de morale, bien que ces préceptes aient eu de l’influence sur les actes ; que, malgré de terribles réveils, la cruauté asiatique s’y soit endormie sous une douceur habituelle ; que l’esclavage, tari dans sa source par la rareté des guerres, s’y soit maintenu seulement sous le nom de puissance paternelle et de puissance maritale ; que nulle part peut-être le despotisme des princes n’ait été