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à prendre le pouvoir politique, soit que les maîtres de la force matérielle s’en servent pour se rendre maîtres du pouvoir religieux, la confusion des deux puissances accompagne ou suit l’établissement de toute idolâtrie. Ce fut la règle sans exception du paganisme antique ; elle se perpétue partout où il dure. Il a donc pour conséquence le plus oppressif des despotismes. Ceux qui obéissent n’ont contre les iniquités les plus odieuses nul recours ni en eux-mêmes ni au-dessus d’eux, puisque la même autorité est maîtresse des corps et des âmes. Ceux qui commandent ne connaissent aucun frein, puisqu’ils ont mis Dieu même au service de leurs caprices, de leurs passions, de leurs crimes. Un tel pouvoir, également redoutable pour les peuples et pour les princes, avilit la soumission et corrompt l’autorité.

La civilisation ne doit pas réserver pour quelques privilégiés tous les avantages de la vie et offrir à presque tous les hommes, comme leur seule part de droits, la souffrance du travail, les mépris et la servitude. Or les idolâtries, impuissantes à maintenir les sociétés et les individus en ordre par des lois morales, ont dû assurer cet ordre par l’artifice d’une hiérarchie forte et qui tînt les peuples immobiles. Il est digne de remarque, en effet, que les peuples idolâtres, si divers de croyances, ont reçu la même organisation sociale. Tous les avantages, honneurs, richesses, sont remis à une minorité. Le premier corps de l’État est celui des prêtres, qui sont chargés d’assurer à la hiérarchie sociale un respect sacré et se sont fait dans cette hiérarchie leur place, la meilleure. Pour affermir cette primauté contre les inconstances toujours à redouter de la foule, ils ont donné la seconde place aux guerriers qui, par la force, maintiennent en soumission la plèbe de ceux qui travaillent et produisent, les agriculteurs et les artisans. Enfin, pour que ceux-ci à leur tour aient intérêt au maintien de cette société, elle leur abandonne un pouvoir absolu sur leurs esclaves, choses vivantes, êtres humains à qui sont déniés tous les droits des hommes.

Cette domination du prêtre et du soldat sur le travailleur méprisé et de tous sur l’esclave, est le caractère commun de toutes les sociétés qui, dans le monde antique, ont établi et, dans le moment présent, perpétuent le polythéisme. Cette similitude domine les divergences des superstitions et des rites : elle donne à l’idolâtrie son unité.

Dans l’Egypte, la hiérarchie des castes paraît constituée