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ont établi des cérémonies et des légendes, ce qui émeut les sens et l’imagination, facultés humaines ; elles n’ont pas donné de lois à la conscience parce que rendre le bien obligatoire au libre arbitre dépasse les forces de l’homme. Qu’on cherche dans les moins répugnantes des mythologies antiques cette contrainte morale. Sous des formes également divines, la vertu et le vice habitent un panthéon d’indifférence entre le bien et le mal : la sagesse a son culte avec Minerve, le travail avec Vulcain, la fidélité conjugale avec Junon, l’intelligence avec Apollon, mais aussi avec Vénus l’amour libre, la violence avec Mars, le vol avec Mercure. Les mythes qui racontent l’histoire de ces dieux les montrent soumis sans résistance ni remords à toutes les impulsions de leur humanité divinisée, et l’Olympe est l’asile sacré des débauches impunies. Toutes les croyances du paganisme chantent aux passagers de la vie un chant de Sirènes, enseignant à suivre la nature : et, par ce culte, l’humanité célèbre ses noces avec le bonheur terrestre. La douleur immortelle de ceux qui furent et ne sont plus, l’inconsolable deuil que, même dans les champs Elysées, les ombres vertueuses portent de ne plus habiter la terre, achèvent de persuader les vivans qu’il faut, durant l’existence trop courte, cueillir du moins tous les fruits de la vie. Une telle religion détruisait les bases du devoir et les hommes y étaient corrompus par les dieux[1].

La civilisation ne saurait avoir pour gouvernement définitif et garantie suprême la tyrannie. Or, toute idolâtrie étant une œuvre humaine, les hommes assez habiles pour la présenter comme divine, acquièrent sur les peuples un droit surhumain. Et soit que les usurpateurs de cette omnipotence religieuse l’emploient

  1. Euripide. Ion., v. 446 à 452.

    σὺ, ϰαὶ Ποσειδῶν, Ζεὺς θ’ ὃς οὐρανοῦ ϰρατεῖ,
    ναοὺς τίνοντες ἀδιϰίας ϰενώσετε.
    Τὰς ἡδονὰς γὰρ τῆς προμηθίας πάρος
    σπεὺδοντες ἀδιϰεῖτ’. Οὐϰέτ’ ἀνθρώπους ϰαϰοὺς
    λέγειν δίϰαιον, εἰ τὰ τῶν θεῶν ϰαϰὰ
    μιμούμεθ’, ἀλλὰ τοὺς διδάσϰοντας τάδε.

    « Neptune, Apollon et toi, roi du ciel, Jupiter, si les hommes vous demandaient compte un jour de vos violences et de vos débauches, la dépouille de vos temples ne suffirait pas à payer votre rançon. Quand d’indignes passions vous dominent, faut-il s’étonner si des mortels y succombent ? Et quand nous imitons vos vices, est-ce nous qui sommes coupables, ou les dieux qui devraient être notre exemple et que nous imitons ? » Edition gréco-latine de Firmin-Didot. Paris. 44.