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juge le pardon nécessaire au monde, il tient pour nécessaire l’avènement d’un Rédempteur, annonce sa venue et l’espère prochaine.

Le génie grec parle à son tour. Si Dieu offensé par l’homme lui prépare, au lieu du châtiment, le pardon, la récompense, et ne veut se venger qu’en le rendant meilleur, l’adoration et la crainte doivent-ils être les seuls sentimens de l’homme envers Dieu ? Avec Socrate et Platon, la loi d’amour, le Nouveau Testament de la philosophie commence. Ils ne se contentent pas de reconnaître « la divinité immuable, éternelle, suffisant souverainement à elle-même, et communiquant le mouvement et la vie à tout le reste[1]. » Ils ne s’attachent pas à la divinité par prudence et par intérêt, en considération des suites qu’aura pour lui la faveur ou la colère de la divinité. Ils se sentent attirés par l’attrait désintéressé, pur et invincible des perfections qui sont en elle. Ils ont pour bonheur en ce monde de fuir le monde qui empêche de « contempler la beauté divine ; » ils espèrent pour bonheur dans la vie future voir sans fin cette beauté, la comprendre mieux et lui ressembler davantage[2].

Platon peut-être l’emporta sur tous les philosophes, pour avoir défini la sagesse, l’amour de Dieu[3]. Quand l’homme a donné son amour, il a donné ce qui en lui est moins indigne d’être offert en hommage à Dieu. Cet hommage est aussi le plus efficace, car l’attrait pour les perfections divines, quand il est sincère, ne va pas sans efforts pour les imiter. Et, tandis que la crainte de Dieu peut laisser intacte la dépravation de la volonté et, tout en disciplinant les actes, garder vivantes les racines de l’injustice, de l’orgueil, de la volupté, de tous les vices, l’amour suffit à les étouffer[4].

Enfin, au moment où le Christ allait paraître, la sagesse romaine, ajoutant à la philosophie grecque son génie formé pour le gouvernement et sa vocation d’universalité, concluait de l’existence divine à la dépendance humaine, de la sagesse divine à une morale certaine, de l’unité divine à une règle unique pour tous les hommes. Le plus illustre chef de cette école, Cicéron,

  1. Aristote, Du Ciel, liv. I, ch. IX.
  2. Platon, liv. II, V. Lysis, page 219. La beauté divine est le πρῶτον φίλον (prôton philon). Trad. Cousin.
  3. St. Augustin, De Civit. dei, t. VIII, ch. VIII. — Les livres I et II de la République et l’Eutyphron sont consacrés à la condamnation des fables scandaleuses des poètes.
  4. Cf. Histoire des théories morales dans l’antiquité, p. 149, 150 et sqq.