Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
522
REVUE DES DEUX MONDES.

Républicain convaincu, forcé de se taire sous l’empire, il s’était donné carrière depuis le 4 septembre, parlant haut enfin, jouissant de son triomphe vis-à-vis de la commission municipale, composée de l’ancien conseil, dissous avec tous ceux de France en septembre, mais maintenu par arrêté préfectoral. Il se retrouvait seul, maintenant que, la République en péril, les conseillers la défendaient avec autant de mauvais vouloir qu’ils l’avaient servie d’abord avec platitude. Mais déjà un des gros bonnets, Massard, prenait Jean Réal à partie. Il fallait que le danger fût grand, la peur pressante, pour que le menuisier, connaissant les idées du château, se risquât à contrecarrer le plus grand propriétaire, le bienfaiteur du pays. Rubicond et ventru, il battait l’air de ses bras courts. « Était-on fou ? Ils n’étaient pas soldats. Les mobilisés ? Partis. Les gardes nationaux sédentaires ? Il y en avait treize bien comptés. Quand on n’est pas les plus forts, on se couche. Ce n’était pas la peine de faire brûler Charmont, fusiller les gens. Tout ça pour rien ! » Et voyant que ses argumens rencontraient une approbation générale, il avisa l’Innocent, qui, gravement, à l’autre bout de la place, faisait l’exercice avec un bâton, aux huées des gamins.

— Eh ! l’Innocent ! c’est-il toi qui vas nous défendre ?

On rit. L’idiot, tournant ses yeux rouges et sa tignasse crépue, mit le groupe en joue. Le maire, Pacaud, que la présence de Réal gênait, se décida et très vite : « Il n’y avait pas de déshonneur à agir selon la raison. Pourquoi garder des armes inutiles ? Ça pouvait faire du tort à la communes. À quoi ça servait-il que la guerre durât ? Plus tôt on arriverait aux élections… »

Sous les yeux clairs du vieillard, il parlait avec un embarras irrité, secouait sa tête bovine, frottait l’une contre l’autre ses mains épaisses.

— Mais gardez au moins vos fusils ! cria l’instituteur. On peut les mettre de côté, sans les détruire !

Jean Réal fit un signe : « Qu’on les lui confiât. Il les garderait, lui. Ce n’étaient pas les caves qui manquaient au château. » Soulagé, Pacaud abonda. Parfaitement, on les porterait aujourd’hui même. Les autres, malgré l’opposition de Massard, acquiescèrent sans enthousiasme. On regardait Jean Réal en dessous, avec méfiance. Tous les visages suaient l’inquiétude, l’agitation. Un vent aigre charriait la pluie. Au-dessus de l’église, le ciel était noir.

Jean Réal s’éloignait. Il se rappelait les fanfaronnades du