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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

beau faire ; ses gestes, la vivacité de son regard, tout disait son triomphe. Il se sentait grandi de cent coudées, croyait porter déjà l’uniforme glorieux des zouaves, braies bouffantes, chéchia crânement plantée. Il n’aurait pas l’air d’un « bleu. » Le chagrin de la séparation s’effaçait devant le champ d’aventures qui s’ouvrait. Il n’était pas jusqu’à son regret de quitter Charmont et la jolie Céline, la petite couturière, fille du garde champêtre, autour de laquelle il tournait depuis deux mois, qui ne lui devînt plaisir amer à l’idée qu’il immolait l’amour au devoir.

Marcelle, en petite personne calme et avisée, — à la place d’Henri, elle aurait été se battre aussi, — le forçait à vérifier s’il n’avait rien oublié : son portefeuille, les photographies, sa montre, sa bourse, le grand couteau à trois lames avec scie, poinçon et tire-bouchon qu’elle lui avait acheté, pareil à celui de l’oncle Maurice. Ses seize ans, qui devenaient chaque jour plus réfléchis, lui laissaient, en dépit de son chignon de demoiselle et de sa robe longue, un air d’extrême jeunesse, qui la désolait. Rose ne lâchait pas la main de son frère, se collait à lui avec une gentillesse affectueuse. Ils avaient toujours été très camarades. La gamine, si bruyante d’ordinaire, toujours dans un envol de jupes et de cheveux blonds, se tenait songeuse, avec cette immobilité des enfans qui pour la première fois découvrent dans la vie des choses mystérieuses. Jusqu’ici tous ces événemens extraordinaires, l’attente et l’inconnu des Prussiens fantastiques, lui avaient été un divertissement passionné, quelque chose d’analogue aux terreurs des histoires de Croquemitaine et de Barbe-Bleue. Elle venait seulement de toucher du doigt une porte d’ombre, qui, redoutable, s’entr’ouvrait silencieusement, devant elle.

— La voiture doit être attelée, dit Jean Réal, en levant les yeux vers la pendule. Vous êtes prêts ?

— Une minute, dit Henri, soudain très rouge. Je reviens.

Quatre à quatre, il s’élançait dans l’escalier, courait à sa chambre où un instinct lui disait qu’il allait retrouver Céline. Elle avait aidé à la valise, il n’avait pu lui dire adieu devant ses sœurs, elle devait être là !… Une forme légère s’avançait dans le couloir ; Céline s’arrêta. Elle avait les yeux rouges, les joues pâles sous ses frisons dorés, un peu défaits. Jamais elle ne lui avait paru plus charmante, avec sa taille ronde et mince, son corsage bleu piqué d’une aiguille au fil blanc, sa frimousse fine.