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bataille, reprenait Origny, tentait d’envelopper la droite ennemie. Quatre jours acharnés à la défense, à la possession d’une lieue à peine de terrain. Surgissement devant l’adversaire stupéfait d’une armée nouvelle, jaillie de sa ruine, comme un phénix de ses cendres. Foinard, Gravant, le Mée, Villorceau, Tavers, Origny, noms obscurs, perdus entre tant d’autres, tous dignes pourtant de demeurer glorieux dans l’histoire, car ils sont peut-être les plus significatifs de la défense, portent le plus éclatant témoignage de ce que peut le soldat à la dernière limite de ses forces, ravagé d’épuisement et de froid, quand un chef décidé le ranime, le maintient, de son inébranlable foi. Mais Frédéric-Charles, au secours du grand-duc, dirigeait en hâte deux corps d’armée complets, rappelés de leur poursuite contre l’armée de Bourbaki ; Maurandy se laissait surprendre à Chambord, les restes de la division Barry n’offraient aucune solidité à Blois. Chanzy, sa mission remplie et au delà, redoutant de voir sa droite tournée, se décidait à donner enfin les ordres de retraite, vers Vendôme.


À Charmont, l’angoisse était vive. Les fuyards de Chambord avaient atteint Amboise, semant l’épouvante. À les en croire, l’ennemi accourait sur leurs talons ; il avait pris Blois ; il était là. Un instant, le général de Maurandy essayait de ressaisir ses hommes, songeait à défendre la ville. Un régiment de mobiles était détaché pour surveiller la forêt, mais une panique l’essaimait. Maurandy, recevant l’ordre de rallier Vendôme, se retirait aussitôt, coupant le câble du pont suspendu, faisant sauter le pont de pierre. Vite Amboise désarmait sa garde nationale ; l’ordre était donné de jeter les fusils dans la Loire. On était au soir du 12.

Dans le salon du château, la vaste pièce tiède où se continuait la vie muette des choses, les lampes versaient leur clarté paisible sur la forme et la place habituelles des meubles. Un grand feu de bûches pétillait dans la cheminée, des ronds de lumière tombaient des petits abat-jour sur l’ovale vert de la table à jeu, aux deux bouts de laquelle, maniant cartes et jetons, le grand-père et la grand-mère se faisaient ; face. Leurs vieilles figures durcies semblaient se pétrifier, comme les autres soirs, en une sérénité absorbée. Marie, assise au coin du feu, dans un fauteuil bas, ayant laissé tomber sa broderie sur ses genoux, contemplait avec attention les jets se la flamme dansante. Elle écoutait