Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
487
LES TRONÇONS DU GLAIVE.

s’écoulent, dans le stupéfiant fracas qui achève de rendre sourd, dans la fumée qui prend à la gorge. Les canonniers chargent automatiquement, tirent toujours. La mort fauche, les servans se clairsèment, des affûts se brisent, des caissons sautent ; le général Renault, commandant du 2e corps, « Renault l’Arrière-garde » des guerres d’Afrique, a eu la jambe broyée d’un éclat d’obus. Peu à peu le feu ralentit. Il est trois heures ; le jour baisse. Ducrot prend alors la résolution de rester sur la défensive jusqu’au lendemain, puis se dirige vers le Four-à-Chaux, près de Champigny, pour faire construire des épaulemens. Mais un officier vient lui demander de la part de Blanchard l’autorisation de battre en retraite vers les ponts. Un assez grand nombre de généraux, peu confians dans leurs troupes, avaient accueilli la sortie avec froideur et la soutenaient sans entrain. Ducrot s’indigne : — « Allez dire partout que, sous peine de mort, je défends d’abandonner aucune position ! » Il pique des deux, vers Champigny : plus de Blanchard, rentré chez lui sans attendre, après avoir donné l’ordre d’évacuer. Ducrot arrête à temps la division Faron en désordre et la reporte dans le village. Il prend le chemin de la villa Palissy où il espère rattraper Blanchard lorsque, comme un incendie mal éteint, la bataille se rallume sur la gauche. On entend une vive fusillade, du côté de Bry et de Villiers. Ducrot s’y précipite. Il est quatre heures. La nuit tombe.

C’était l’entrée en scène, inutile et tardive, de la division de Bellemare, qui vers deux heures était enfin parvenu à arracher à d’Exéa l’autorisation de marcher. Il avait franchi la Marne, et au lieu de se porter sur Noisy, comme l’ordre le prescrivait au 3e corps tout entier, escaladé Bry, d’où il avait chassé l’ennemi après un corps-à-corps acharné. De là, pensant pouvoir enlever de front ce redoutable parc de Villiers contre lequel le 2e corps avait échoué, Bellemare lançait la brigade Fournès. Les mêmes zouaves, qui avaient fui à Châtillon, d’un bond superbe arrivaient jusqu’à cent mètres du parc, et là, épuisés, hachés, reculaient, ramenant les deux canons abandonnés. La nuit s’est faite, le ciel rougeoie, Ducrot arrive, amenant le dernier renfort : quatre bataillons et deux batteries, tandis qu’immobile, retenu par d’Exéa, là-bas, de l’autre côté de l’eau, le 3e corps piétinant ronge son frein. Alors toutes les troupes de Bellemare s’ébranlent, avec une intrépidité fougueuse. En vain, Villiers, inexpugnable dans un cercle de feux, émiette et disperse le dernier assaut.