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être la carte dernière, l’atout de sa vie. Il est dix heures. Les renseignemens arrivent, apportés par des officiers d’ordonnance au galop ; on occupe, de Bry à Chanipigny, la crête du plateau. Paris vient de mettre le pied sur les collines, voit plus loin, respire.

Que faire maintenant ? À droite, le château et le parc de Cœuilly, à gauche ceux de Villiers dressent leurs forteresses naturelles, dominent le plateau. Enlever cela ! Sans doute, le général en chef, qui dispose de 400 canons, va faire avancer son artillerie ; il a prévu que les pentes, battues par l’ennemi, sont exposées ; il a pris ses précautions pour abriter ses pièces, par des épaulemens provisoires. Non, c’est l’infanterie qui fera tout, celle de Maussion abordera Villiers de face et celle de Miribel de flanc ; les régimens de Faron se porteront directement sur Cœuilly. L’attaque se dessine. Les rares batteries qui la soutiennent sont aussitôt démolies par les batteries adverses, qui surplombent ; et pendant ce temps, les forts se taisent, ayant éparpillé leurs munitions, au lieu de concentrer le feu sur les villages. Du moins, Ducrot est persuadé que le 3e corps, son aile gauche, a franchi la Marne au-dessus de Nogent, et va, suivant l’ordre donné, attaquer Noisy, pour se rabattre ensuite sur Villiers qui, débordé, tombera.

Sur toute la ligne, pantalons rouges et capotes bleues fourmillent ; par petits paquets, enflant une énorme vague humaine, les compagnies et les bataillons montent, débordent lentement la crête. Au dessous de Cœuilly, la pente est raide. Faron, sans attendre ses batteries qui s’attardent dans Champigny encombré, a lancé les fantassins de la Vendée, du 35e et du 114e. Des canons, derrière la grille du parc de Cœuilly, les arrêtent, sous un feu de mitraille ; les tirailleurs wurtembergeois visent comme à l’affût, par les meurtrières. Enfin, voici deux batteries ; elles sont fauchées, se débandent ; ramenées, elles disparaissent encore. Une autre lutte bravement, a le même sort. Enhardis, les Wurtembergeois s’élancent hors du parc, mais le 35e et le 114e, conduits par les lieutenans-colonels Lourde-Laplace et Boulanger, foncent à la baïonnette et les rejettent, arrivent jusqu’au pied des murs ; là, criblés de balles, assaillis de flanc par de nouvelles troupes, ils plient sanglans, noirs de poudre, entraînant avec eux la division entière. La vague brisée reflue jusqu’à Champigny, abandonne dans son remous des centaines de blessés et de morts, pêle-mêle avec quatre cents Wurtembergeois.