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Comédie-Française : Arlequin, Pierrot, Colombine y faisaient leurs culbutes et leurs cabrioles. Aux Italiens, elle a trouvé les mêmes divertissemens. Sans doute la Folie ne saurait être impartiale et il est de toute évidence qu’elle passe la mesure et abonde dans son sens. Il reste qu’il serait impossible de faire une histoire de la comédie au XVIIIe siècle sans y tenir grand compte des changemens qui s’y sont introduits par suite du voisinage des spectacles forains. Les auteurs qui travaillent pour la Comédie-Française ont le plus souvent commencé par se faire la main en travaillant pour la foire. Ils y ont pris des procédés de travail, contracté des habitudes et un tour d’esprit dont ils auraient peine et dont ils ne chercheront d’ailleurs pas à se défaire complètement. Favart a écrit la Chercheuse d’esprit avant d’écrire les Trois Sultanes et Sedaine a donné Rose et Colas avant le Philosophe sans le savoir. En changeant de scène, ils n’ont presque pas changé de manière. Si la comédie prend plus de pittoresque et s’attache davantage à reproduire le milieu, c’est que l’opéra comique a rendu sous ce rapport le public plus exigeant. Si elle gagne en mouvement et si, avec Beaumarchais, ce mouvement s’accélère jusqu’à la folie, c’est qu’elle y est excitée par l’exemple du vaudeville. Enfin comment oublier que, pendant toute la première moitié de ce siècle, le vaudeville nous a tenu lieu de comédie, et que, pendant toute la seconde, il a infesté la comédie et l’a gâtée par ses intrigues factices et ses personnages de convention ? Car il faut bien l’avouer en terminant, si les spectacles forains ont eu une heureuse fortune et s’ils se sont continués par une postérité nombreuse, ce n’est pas à dire que les genres auxquels ils ont donné naissance aient été pour l’art dramatique des acquisitions dont il doive se montrer fier. Ni le monologue, ni la parodie, ni la revue, ni la féerie, ni l’opérette n’ont jamais prétendu à notre estime, et ils ont fait prudemment. Mais l’opéra comique et le vaudeville sont d’assez bons types du genre faux. Créés pour le divertissement des badauds, sous les auspices de la fantaisie débridée, ils sont toujours restés en dehors de la vérité. On ne renie jamais tout à fait ses origines, et ce n’est pas impunément qu’on a pour ancêtres des farceurs de foire, des danseurs de corde et des escamoteurs de gobelets.


RENE DOUMIC.