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de toutes les mésaventures et défaillances de l’adversaire. Les Italiens sont chassés, en 1697, pour avoir, en jouant la Fausse Prude mécontenté Mme de Maintenon : aussitôt les forains se partagent leurs dépouilles, leur empruntent de force leur répertoire, s’approprient les types d’Arlequin, de Scaramouche et de Mezzetin. L’Opéra est en faillite : les forains lui achètent le droit de « faire usage sur leur théâtre de changemens de décoration, de chanteurs dans les divertissemens et de danseurs dans les ballets. »

Mais la plus grande habileté des forains ce fut encore de s’adjoindre des auteurs de talent. Au lendemain de Turcaret, Lesage, s’étant brouillé avec la Comédie-Française, passe au théâtre de la Foire, dont il va pendant vingt ans être le fournisseur attitré. Piron commençait à se faire connaître dans le petit monde littéraire du café Procope par sa verve et les saillies de son humeur bourguignonne. Un beau matin, Francisque tombe chez lui : « Je suis entrepreneur de l’Opéra-Comique. La police m’interdit de faire paraître plus d’un acteur parlant sur la scène. MM. Lesage et Fuzelier m’abandonnent. Je suis ruiné, si vous ne venez pas à mon secours. Vous êtes le seul homme qui puissiez me tirer d’affaire. Tenez, voilà cent écus. Travaillez. » Et pendant trois années Piron travaille pour la Foire, avec une verve et une ardeur qui se refroidiront subitement dès qu’il abordera la Comédie-Française et écrira pour elle la Métromanie. Si l’on joint aux dix volumes publiés par Lesage, Fuzelier et d’Orneval, les trois qui contiennent les pièces écrites par Piron, on a le répertoire complet du théâtre forain pour une période qui va de 1713 à 1734, et qui est aussi bien la plus caractéristique dans l’histoire de ces spectacles. C’est la période de confusion. Tous les genres sont mêlés. Ce qui est curieux c’est d’apercevoir dans cette confusion les genres qui peu à peu se dégageront des élémens auxquels ils sont mêlés pour vivre enfin d’une vie indépendante. Et c’est de voir comment ces genres sont nés des circonstances, des conditions matérielles où se trouvaient les entrepreneurs de spectacles et de la nécessité qui s’est imposée aux auteurs de s’y accommoder ou de s’y soustraire.

Chacune des entraves apportées au jeu des forains devient pour eux l’origine d’une trouvaille ingénieuse, d’un emprunt fait à propos, ou d’une « création » qui, d’ailleurs, vaut ce qu’elle vaut. En 1709, les forains n’ont pas même le droit de monologuer. Condamnés au mutisme, ils joueront donc des « pièces à la muette. » Voici en quoi elles consistaient. Les acteurs prononçaient d’un ton tragique, sur le rythme de l’alexandrin, des mots qui n’avaient aucun sens. Le ton et les gestes