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s’y sont ébauchées, et que deux genres s’y sont presque entièrement déterminés : l’opéra comique et le vaudeville.

L’histoire des forains et de leurs démêlés avec leurs puissans adversaires est des plus curieuses. Elle a été souvent contée : elle vient de l’être une fois de plus, de façon très attrayante, par M. Maurice Albert dans son volume : les Théâtres de la Foire[1]. Ceux d’entre nous qui se plaignent d’avoir une Exposition tous les onze ans peuvent se consoler en songeant que leurs pères en avaient deux par an, une au printemps, qui était la foire Saint-Germain, une en été, qui était la foire Saint-Laurent, lieux de plaisir en même temps que places de commerce. Les badauds de toutes les classes s’y donnaient rendez-vous, ceux du beau monde désertant la place Royale et ceux du peuple désertant le Pont-Neuf. Ils y trouvaient des attractions variées. Longtemps les entrepreneurs de spectacles se bornèrent à exhiber des phénomènes, hommes à deux têtes, hommes sans bras, hercules, « femmes fortes » qui soulevaient avec leurs cheveux des poids de cent kilos, à montrer la lanterne magique et faire jouer des marionnettes, ou danser des animaux savans tels que pigeons, chiens, rats, et surtout des singes parens de ce Fagotin immortalisé par son duel avec Cyrano. A la fin du XVIIe siècle la troupe la plus en faveur était une troupe de vingt-quatre sauteurs dirigée par le Français Alard et l’Allemand Vonderbeck. Alard eut l’idée d’encadrer les exercices de ses sauteurs dans de petites scènes dialoguées. Le livret de l’un de ces spectacles est venu jusqu’à nous. Il est intitulé : les Forces de l’Amour et de la Magie (1678). Le théâtre représente une forêt, où des personnages costumés en démons et en polichinelles se tiennent immobiles sur des piédestaux. Après que quelques hautbois ont joué une ouverture, un homme paraît, c’est Merlin ; il se plaint d’être valet, et valet d’un maître qui, non content d’être magicien, est amoureux : ce maître est Zoroastre, amoureux de la bergère Grésinde. Tout à coup les démons sautent de leurs piédestaux, font des tours d’acrobates et donnent à Merlin des coups de bâton. Au second acte, Zoroastre, pour séduire Grésinde, fait devant elle des tours de passe-passe : il lève des gobelets posés sur une table et d’où il sort des singes qui font des culbutes et des serpens ailés qui s’envolent. Au troisième acte, Grésinde, qui décidément ne se soucie pas d’avoir pour mari un si habile homme, invoque la protection de Junon : quand Zoroastre veut serrer Grésinde

  1. Les Théâtres de la Foire, par Maurice Albert, 1 vol. in-16 (Hachette) ; Cf. A. Heulhard, la Foire Saint-Laurent, son Histoire, ses Spectacles ; Campardon, les Spectacles de la Foire.