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hordes du Nord, c’était ouvrir à celles-ci les chemins qui les mèneraient au cœur de la monarchie grecque. Il n’eut aucun égard aux liens de famille et de religion qui avaient existé entre les deux maisons souveraines. Il ne vit pas qu’en même temps qu’une mauvaise action il faisait une mauvaise affaire. Lors du traité conclu entre Soursouboul et Romain Lécapène, le premier avait stipulé le paiement annuel d’une pension ou d’un tribut par la cour de Byzance. Lorsque les envoyés du tsar, en 967, vinrent réclamer l’argent, Nicéphore les fit rosser et chasser. Puis il envahit la Thrace et la reconquit jusqu’aux Balkans. Restait à subjuguer la Bulgarie danubienne. Nicéphore, comme autrefois Léon VI, fit appel aux barbares du Nord. Les barbares du Nord étaient alors les Russes, encore païens. Leur chef suprême, le prince de Kiev, était Sviatoslav, digne héritier des anciens wikings northmans qui avaient groupé en un embryon d’Etat les tribus des Slaves russes. Ce « roi de mer, » enchanté d’une telle aubaine, descendit le Dnieper avec dix mille guerriers embarqués dans des canots monoxyles. Il enleva Dorostol (Silistrie) et saccagea Preslav, qui semble ne s’être jamais relevée du désastre. Une fois installé en Mésie, trouvant le pays « abondant en toutes sortes de biens, » il refusa d’en sortir. Nicéphore Phocas n’avait donc abouti qu’à se donner pour voisin un empire slave qui s’étendait maintenant de la Baltique au Danube, et qui pouvait rallier à lui tous les Slaves groupés ou épars dans la péninsule des Balkans. Avant qu’il eût rien pu tenter pour réparer une erreur si funeste à l’hellénisme, il fut assassiné par l’amant de sa femme, un Arménien comme lui, Jean Tsimiscès (969). C’est à celui-ci, devenu empereur par son mariage avec la veuve impériale, qu’incombait la tâche ardue de déloger de la Mésie les Russes victorieux. Il leur prit Dorostol après une série de combats acharnés qui forment une véritable épopée. On en trouvera l’attachant récit dans les pages de M. Schlumberger. Un traité s’ensuivit entre l’empereur grec et le prince des Russes. Ceux-ci jurèrent, par leurs dieux Péroun et Voloss, de garder fidèlement la (paix avec Byzance. La Bulgarie mésienne, si âprement disputée, resta le butin de guerre du Basileus. Quant à Sviatoslav, à la remontée du Dnieper, il fut attaqué par les Petchenègues, nomades de race turque, « mangeurs d’insectes, » massacré avec tous les siens, et son crâne servit de coupe à ses vainqueurs.