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provinces insurgées, des frères aînés en révolte, des boïars redevenus souverains dans leurs châteaux forts, la couronne tsarienne et l’unité nationale eussent également péri sans l’habileté et l’énergie du régent Soursouboul. Contre tant de périls, celui-ci résolut de tenter un rapprochement avec les Grecs et de signer le traité que l’orgueil de Siméon s’était refusé à conclure. Il obtint de l’empereur Lécapène la reconnaissance du titre tsarien de son jeune maître et du patriarcat autonome. En outre, le Basileus accorda en mariage au tsar Pierre sa petite-fille Maria. Suivant l’usage, elle prit un nom nouveau, d’un heureux augure pour les deux peuples : celui d’Irène (la Paix).

Ce traité et ce mariage valurent aux deux empires quarante années de trêve. Avec une tsarine grecque installée à Preslav, la civilisation hellénique devait conquérir en Bulgarie un ascendant que n’avaient pu lui assurer toutes les victoires de Siméon. La jeune épouse n’avait pu quitter sans un serrement de cœur l’existence confortable, embellie par le luxe, les arts et tous les plaisirs de l’esprit, que lui avait assuré le Sacré-Palais. « Sa joie, dit un chroniqueur, était mêlée de tristesse ; elle était triste de renoncer à ses parens bien-aimés, à ses demeures royales, à la tendresse de ses proches ; elle se réjouissait de ce qu’elle était la femme d’un roi et de ce qu’on l’acclamait souveraine des Bulgares ». La politique byzantine se garda de négliger les liens qui unissaient la maison régnante de Bulgarie et l’influence qu’y pouvait exercer cette fille d’empereur livrée comme en otage aux barbares. « Plus d’une fois, dit un chroniqueur byzantin, Irène vint de Bulgarie à la Ville visiter son père et son aïeul ; la dernière fois, elle fit le voyage avec ses trois enfans ». En Bulgarie même, elle dut être une protectrice pour les milliers de sujets grecs, artistes ou gens de métier, que les Krum et les Siméon, après le sac des villes romaines, avaient transplantés dans les bourgades de la Mésie. Elle dut contribuer à un nouvel essor de la littérature bulgare, presque tout entière empruntée ou compilée de la grecque : c’est vers cette époque qu’aux rédactions de caractère ecclésiastique qu’avaient encouragées Siméon s’ajoutèrent les œuvres d’un caractère laïque telles que la traduction du Roman d’Alexandre le Grand, du Roman de Troie, des contes sur Varlaam et Josaphat, sur le Tsar Sinagrit et Akir le Sage, sur Salomon et Kitovras (le Centaure), sur Hélène la Belle, qui plus tard passèrent du bulgare dans la littérature naissante de la Russie.