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l’autorité des évêques et des monastères helléniques. Mais la Bulgarie elle-même, pour être devenue chrétienne orthodoxe, en était-elle moins l’ennemie de l’empire ? Qui pouvait affirmer que les Slavinies baptisées eussent oublié leurs liens de race et de langage avec les tribus danubiennes, également baptisées ? Ainsi l’empire grec se trouvait menacé non seulement sur ses frontières du Nord, mais au cœur de ses provinces les plus incontestablement helléniques. L’ennemi était partout : au dedans, au dehors.

Le roi Siméon, auquel une telle puissance et de tels moyens d’influence venaient d’échoir, avait été, par ordre de son père Boris, élevé à Byzance. Il paraît même que, la couronne étant destinée au frère aîné, Boris entendit que ce second fils embrassât la vie monastique. C’est pourquoi un écrivain du Xe siècle qualifie Siméon d’apostat : ce qui signifie sans doute défroqué. Siméon dut recevoir une éducation de moine, c’est-à-dire d’intellectuel. Il aurait étudié à Constantinople « la rhétorique de Démosthène et les syllogismes d’Aristote. » Il y devint un Hémiargos, c’est-à-dire un demi-Grec. Il eût mieux valu pour les Hellènes qu’il restât simplement un barbare. Le goût qu’il avait, durant son séjour d’études, contracté pour les choses byzantines, pour le luxe de la cour impériale, la vaisselle d’or artistement travaillée, les belles étoffes de soie, ne pouvait qu’aiguiser ses convoitises pour la possession même de Byzance.

La première guerre entre Siméon et l’empire grec n’eut point pour cause un aveugle esprit de conquête ou de dévastation, mais un conflit d’intérêts économiques. La Zagorie de Thrace, que s’était fait céder le roi néophyte Boris, comprenait, sur le golfe de Bourgas, les ports d’Anchiale, Mésembria (Misivri), Sozopolis (Sisiboli) et Bourgas. En outre, Istropolis desservait le bas Danube. Tous ces ports étaient devenus florissans, parce que leurs navires allaient se décharger aux quais mêmes de Constantinople, à l’endroit dénommé « entrepôts bulgares. » Une intrigue d’eunuques impériaux gagnés par deux marchands grecs furieux de la concurrence des barbares, fit transporter les « entrepôts » à Salonique : les vaisseaux de Siméon avaient donc à franchir le détroit des Dardanelles, à contourner deux presqu’îles, celle de Gallipoli et celle de Chalcidique, pour aller débarquer leurs marchandises à Salonique, où d’ailleurs ils furent bientôt en butte à d’autres avanies. Siméon fit entendre des protestations