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longue liste des dignités byzantines, les vocables grecs tendent à réduire la place occupée par les antiques appellations romaines. Le souverain oublie ses titres d’imperator, de César et d’Auguste pour adopter ceux de Basileus et d’Autocrator. L’empire d’Orient s’intitule toujours l’empire romain ; mais c’est un empire de la langue hellénique. C’est à l’hellénisme que l’on convertit les groupes de colons transportés en Europe de provinces lointaines, les recrues étrangères qui commencent à affluer dans les légions, les aventuriers latins, germains, Scandinaves, arméniens, arabes ou turcs qui sont venus chercher fortune à Byzance et s’y sont élevés aux premières charges civiles ou militaires. Tous ces groupes se sont si rapidement assimilés qu’ils en arrivent à donner des empereurs au monde hellénique : presque au début, toute une dynastie slave, dont les fondateurs sont deux paysans, Istok (la Source) et Oupravda (la Vérité ou le Droit), qui seront les empereurs Justin Ier et Justinien le Législateur (le nom romain de celui-ci étant presque une traduction de son nom slave). Plus tard une série de dynasties arméniennes.

A beaucoup d’égards, l’empire romain d’Orient ressemblait à l’empire ottoman qui lui a succédé : dans celui-ci, les plus ardens soldats du Prophète furent les janissaires, enfans chrétiens enlevés à leurs parens, et les « spahis, » anciens seigneurs terriens des pays slaves, grecs ou albanais, qui, pour conserver leurs fiefs byzantins sous le nom turc de timars, avaient embrassé l’islamisme. La plupart des hauts dignitaires et les plus célèbres grands-vizirs de Soliman le Magnifique furent des renégats européens. Les sultans eux-mêmes, Osmanlis par leurs pères, étaient de sang chrétien par leurs mères, esclaves géorgiennes ou arméniennes, captives russes ou italiennes. De même que dans l’empire ottoman quiconque parlait le turc et confessait le Prophète était réputé Osmanli, de même dans l’empire byzantin quiconque parlait le grec et faisait profession d’orthodoxie était réputé « Romain, » c’est-à-dire Hellène. A Byzance comme à Stamboul, l’empire reposait moins sur une race que sur une foi. Telle était la puissance d’absorption de l’hellénisme qu’il opérait une véritable transmutation des élémens ethniques les plus divers, hommes du Balkan, du Pinde, du Caucase, du Taurus et du Liban, Européens ou Sémites, Iraniens ou Touraniens. L’empire était comme un laboratoire où le « sang des races, » pour employer la forte expression d’un de nos jeunes romanciers, subissait, sous