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aussi le maître de Constantinople se trouva être le seul empereur chrétien, le suprême défenseur de la foi, l’Isapostolos (semblable aux apôtres) par excellence, le détenteur de toute orthodoxie religieuse comme de toute légitimité politique, le monarque type vers lequel tous les rois et tous les peuples barbares eurent les yeux tournés et les mains tendues, les uns pour lui demander la consécration de leur titre royal, les autres pour s’offrir en qualité de colons ou de soldats, presque tous pour solliciter de lui l’initiation à la foi du Christ, Tout ce qui avait existé de grandeur, de majesté et de prestige pendant quinze ou vingt siècles dans le monde entier s’accumulait, après la disparition de l’empereur de Rome et durant les longues éclipses de la papauté romaine, sur la tête du césar de Constantinople[1]. Les artistes byzantins le représentaient sur des mosaïques à fond d’or, comme un saint ou comme un dieu, une auréole entourant son front ; et l’éclat de cette auréole, dans l’imagination des peuples prosternés, était fait de la majesté formidable des rois assyriens, ninivites ou perses magnifiés dans la Bible, de la sainteté de David, de Salomon, de tous les prophètes, de tous les confesseurs et de tous les martyrs, des souvenirs imposans que rappelaient les noms de César, d’Auguste, des Flaviens et des Antonins qui avaient tenu le monde dans le creux de leur main.

Toute cette puissance de grandeur réelle ou de prestige, tout ce qui subsistait de la forte organisation romaine, l’action centralisatrice d’une administration perfectionnée, le formidable appareil de la marine de guerre et des légions, le rayonnement de la propagande religieuse, était mis par l’héritier de Constantin au service de l’hellénisme, si puissant déjà par la séduction de sa langue et son éblouissante supériorité de civilisation.

A la vérité, les sujets du souverain de Byzance se qualifiaient eux-mêmes de « Romains, » et non pas d’Hellènes, nom qu’ils réservaient à leurs ancêtres païens. Ils avaient comme perdu la conscience de leur nationalité réelle. Pendant longtemps, ils avaient admis que le latin fût la langue officielle ; encore sous Justinien, les grandes compilations de droit furent rédigées en latin ; mais c’est à partir de ce moment que les lois nouvelles (les Novelles) furent promulguées en grec ; que sur les monnaies des empereurs les caractères grecs se substituèrent aux latins. Bientôt, dans la

  1. Voir Empereurs et Impératrices d’Orient : I, l’Empereur byzantin, dans la Revue du 1er janvier 1891.