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avec violence l’atmosphère religieuse. Cela est si vrai que le bouleversement politique du pays, comme toutes les révolutions où les âmes désemparées chassent sur leurs ancres, a provoqué des accès de mysticisme, suscité des visionnaires et des prophétesses.

Une femme nommée Miki, originaire de la sainte province du Yamato, se prétendit éclairée d’une soudaine illumination et entraîna des milliers de cœurs. Elle est morte depuis douze ans, mais sa bonne nouvelle s’est répandue par toutes les provinces. Le Ten-ri-Kyô, assemblage de conceptions bizarres et de dieux shintoïstes, a ses temples, sa légende miraculeuse, ses livres de révélations, ses mystères, ses orgies sexuelles, ses initiés. On y annonce qu’un temps viendra où le genre humain reconnaîtra le Japon comme son premier séjour, la prophétie de Miki comme la vérité divine. Alors une rosée céleste tombera sur le tertre verdoyant où les dieux générateurs Izanagi et Izanami célébrèrent leur nuit de noces. Et l’aveugle recouvrera la vue, le muet la parole, le sourd l’ouïe, le boiteux marchera, le lépreux guérira, et les fous se réveilleront de leur mauvais rêve. Prenez garde que ces prédications excitantes sont d’autant plus dangereuses qu’elles trahissent chez un peuple ébranlé dans sa foi séculaire et humilié par la conquête irrésistible de l’Occident, non seulement le désir d’une croyance et d’un soutien nouveaux, mais encore le besoin de surmonter l’humiliation et d’imaginer une mystique revanche.

L’espoir dont le Ten-ri-Kyô abuse les simples trouve un écho dans l’officine des écrivains et des philosophes. L’importation des ouvrages européens a produit une renaissance des études religieuses. Les travaux de France et d’Allemagne ont secoué çà et là l’ancienne torpeur des dignitaires bouddhistes. Mais en même temps que les Japonais apprennent à mieux connaître leur religion, ils en exigent la réforme. Le vieux bouddhisme pensif et triste les effraie comme s’ils craignaient d’avoir le sort du patriarche Daruma, de la secte Zen, lequel perdit ses jambes pour être resté trop longtemps en méditation. Ils veulent marcher, se hâter, courir, dépasser l’agile Européen. Ils rêvent d’un néo-bouddhisme qui serait « démocratique, empirique, optimiste. » De gros livres ont été publiés sur la matière. Et ce néo-bouddhisme optimiste, empirique, démocratique, m’a remis en mémoire certain néo-christianisme qui n’attesta naguère chez nos doux intellectuels que la ruine prétentieuse de l’esprit chrétien. D’ailleurs les Japonais, imitateurs incorrigibles, tiennent encore