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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

sauvé du désastre de Sedan par une retraite habile, la nomination de l’énergique Ducrot, prisonnier évadé, au commandement de l’armée, la reprise fiévreuse des travaux de défense commencés par Palikao, mais interrompus par le chômage dont les ouvriers avaient salué huit jours durant la chute de l’Empire, l’horizon chaque jour rétréci par le rideau des colonnes allemandes, les ponts de la Seine, de l’Oise et de la Marne sautant à mesure, les chemins de fer se repliant jusqu’à ce qu’Asnières et Vincennes devinssent têtes de ligne, jusqu’à ce que les derniers wagons rentrassent enfin derrière les portes murées, tous ces avertissemens réveillaient les craintes, sans dissiper les illusions ; personne ne croyait à l’éventualité d’un blocus, à la durée d’un siège.

Paris affamé, vaincu, cela paraissait à tous une chimère, un sacrilège impossibles ! Et pourtant on était sur un qui-vive perpétuel, on redoutait le bombardement ou un assaut brusque qui eût emporté les fortifications vieillottes, bousculé l’armée régulière, le 13e et le 14e corps, vieux soldats de Vinoy et formations hâtives de Renault. Ce qui n’empêchait pas d’aller voir, en badauds, les immenses parcs à bestiaux établis à l’intérieur des fortifications, l’engouffrement prodigieux des approvisionnemens aux Halles. On montait la garde aux remparts avec une insouciante légèreté : deux heures de faction, le reste en flâneries le long des tentes où l’on couchait le soir, en parties de cartes ou de bouchon, en tournées chez le marchand de vins. On était tout à cette vie nouvelle, au changement d’habitudes, de personnes, d’idées qu’apportait avec soi la République : souvenirs de 48, rappel de 92. Mais l’investissement, complet le 19 septembre, le cercle cadenassé des IIIe et IVe armées allemandes. Prince royal de Prusse et Prince royal de Saxe, avec le grand quartier général de Guillaume à Versailles, la débandade de Châtillon, ses zouaves hagards et son remous d’attelages éperdus, les intolérables conditions de Bismarck, publiques après l’entrevue de Ferrières, avaient, en même temps que fouetté le patriotisme et l’indignation, rendu plus nerveuse cette impressionnable population de Paris, de cœur ardent, d’esprit mobile, sautant de l’enthousiasme le plus fou au découragement sans cause, criant à la victoire le matin, le soir à la trahison.

Derrière le gouvernement débordé, pliant sous la multiplicité des besognes, derrière ces républicains honnêtes, mais