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d’amulettes. Ses drogues sont composées par des philosophes ; ses abraxas, gravés par des professeurs d’hypnotisme. Ses bonzes auraient confirmé nos encyclopédistes dans leur idée que les prêtres fabriquent les religions. J’en ai entendu plusieurs, et non des moindres, m’exposer tranquillement la nécessité de machiner un ciel à l’usage des pauvres et de leur frayer la voie du salut avec des idoles pour bornes milliaires. Imposteurs ? Oui et non. Leur charlatanisme respire souvent la miséricorde. Ils ont dissimulé dans l’appât où se prennent les âmes une dose homéopathique de vérité. Détestable ou délicieux, jusqu’en ses pires avatars, le bouddhisme garde encore un principe de bonté supérieure. Ce grand maître d’illusions ne croit pas déchoir en opposant aux illusions qui nous perdent des illusions qui nous sauvent. Il nous trompe comme la nature, mais contre elle et dans le sens de notre bonheur.

Ses subterfuges, dont il fait des véhicules de sainteté, lui furent au Japon une première cause de succès. Il n’exigea point la ruine des anciens temples ; il accapara leurs dieux et reprit à son compte le culte des ancêtres. Rien ne sembla changé dans le pays sinon que les divinités se multiplièrent et qu’on en vit la figure. Mais plus encore que l’élasticité de sa diplomatie, ses nouveautés sensuelles contribuèrent à son triomphe. On a dit que le shintoïsme ne parle pas au cœur. On dirait mieux qu’il ne parle pas aux sens. Par les sens inoccupés le bouddhisme s’écoula librement et s’installa victorieusement dans l’âme japonaise.

Ce n’est pas sans raison que le vieux shintoïste Hirata, qui commande d’offrir aux morts de l’eau et des fleurs, réprouve l’encens et le déclare abominable. Le bouddhisme fit agir sur les Japonais des parfums inconnus. Leurs petits temples n’exhalaient qu’une odeur de feuillage et de bois fraîchement écorcé, et comme les fleurs japonaises ont plus d’éclat que d’arôme, on priait les dieux dans l’air pur et dans les bonnes senteurs de la terre humide. Le culte se pratiquait au grand jour, et si le hallier lui prêtait son ombre, le ciel y rayonnait encore. L’esprit communiquait avec l’invisible naturellement et sans que les nerfs en fussent ébranlés. Mais sitôt qu’on passe le porche d’une église bouddhiste, les allées de lanternes, les jardins emblématiques, les bassins de pierre, les portes dorées, les rouges encorbellemens sculptés en têtes d’éléphans, de dragons ou de rhinocéros, les colonnes qui, peintes, semblent drapées d’étoffes de Bénarès, ou