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presque une étable, sanctuaire définitif de la tradition. O sainte idée de la patrie, c’est toi qui rends augustes ses poutres coupées dans tes forêts, ses pierres roulées partes flots, son chaume sorti de ta glèbe ! Des sophistes épris d’un mauvais rêve humanitaire ont dit que tu nous divisais, et pourtant je sens bien que si je ne te possédais pas, je serais plus loin de ces hommes dont me séparent déjà mon éducation et mon sang. Mais par toi nous nous comprenons, car tu es un grand truchement des cœurs. Et dans la forêt d’Isé, au milieu des pèlerins, je foulais respectueusement la terre, cette terre où, quand l’homme s’agenouille et se prosterne, s’il se croit plus près des dieux, c’est aussi qu’il est plus près d’elle.


III

La doctrine de Confucius, une fois importée au Japon, devait s’y naturaliser d’autant mieux que le culte du shinto, si improductif en spéculations, contenait déjà le germe d’un positivisme religieux. Elle ne fit qu’en rédiger le mémorial. D’esprit et de cœur, les samuraïs japonais gardèrent la foi shintoïste. Seulement ce fut dans la bible chinoise qu’ils en épelèrent les formules.

Mais que chez un tel peuple, optimiste et vaniteux, le bouddhisme se soit acclimaté sans lutte et sans orage au point d’en ombrager toute la vie sociale, l’événement tiendrait du prodige si le bouddhisme n’était trop souvent l’exploitation d’une philosophie mystérieuse par un clergé d’effrontés casuistes. Les dieux récalcitrans qui lui barrent la route, il les métamorphose en Bouddhas, comme ses moines jeûneurs baptisent carpe la volaille appétissante, et baleine des forêts la viande du sanglier qui se vautre dans les mares. Sa métaphysique transcendantale lui donne une admirable fluidité et lui permet de revêtir les formes les plus imprévues. Il est subtil et grossier, subtil même dans ses grossièretés. Rien ne l’entrave. Il se glisse partout ; il affecte un nouveau sens aux vieilles images mystiques ; il sature le sol, le bois, la pierre, l’homme. Quand il n’est pas le breuvage, il est la coupe où les lèvres se désaltèrent. « Il se fait lune, soleil et nuage, herbe, oiseau et poisson, » et il se fait la terre pour recevoir les morts. Toutes les superstitions indigènes viennent à lui comme les reptiles au charmeur ; il les apprivoise, il en joue, il en jongle. Il ouvre des écoles d’ascétisme et tient des boutiques