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Je lus des ouvrages shintoïstes et j’allai consulter des prêtres réputés pour leur sagesse. Braves gens, bons pères de famille, fonctionnaires consciencieux, ces sacristains et marguilliers du culte impérial me semblèrent aussi faibles théologiens que pauvres philosophes. Ils m’accueillirent dans leur maison qui touchait au temple : elle était nette et vide, si vide et si nue que jamais l’ombre même d’une idée n’avait dû effleurer ses boiseries rustiques et ses fins tatamis. J’y cherchai vainement le kakémono que le moindre paysan déroule au mur de son alcôve, ou la fleur dans son vase de bronze qui évêque toutes les fleurs, ou l’arbre minuscule qui résume toute la forêt. Mais petit arbre éloquemment tordu, vase ciselé, fleur unique, peinture décorative, ces ornemens bouddhistes n’avaient point leur place dans ce logis archaïque où seule vaquait à sa rêverie la douce lumière du Japon.

Cependant mes hôtes, à genoux sur leurs nattes et devant leurs tasses de thé, m’initiaient à leur théogonie. Les dieux s’y enfantaient par l’œil et parle nez ; les premières moissons y poussaient sur leur cadavre ; le frère de la déesse Soleil, exaspéré contre sa sœur, lançait un cheval écorché dans son métier de tisseuse ; des myriades et des myriades de divinités, dont les noms les plus courts sont encore longs d’une aune, les unes gigantesques et les autres falotes, emplissaient, sans les animer, le ciel, la terre, les eaux et les régions basses. Tout cela débité gravement et à la lettre donnait aux bouches de ces docteurs une enfantine sénilité. Et pourtant leurs légendes ne sont pas moins riches que celles où le génie aryen prit conscience de lui-même et de l’univers. On y retrouve les absurdités sublimes qui, dans toutes les religions des peuples, semblent attester une révélation primitive ; car il est bien étrange que si tous les peuples ont éprouvé le même besoin de croire, leur imagination ait cédé à d’uniformes délires. Ces légendes sont comme les fruits édéniens cueillis par l’humanité aux branches de son berceau. Mais elles se dessèchent et se flétrissent quand les âmes, uniquement amusées de leur éclat, n’en pénètrent pas la saveur mystérieuse. D’où vinrent aux Japonais ces conceptions grandioses dont leur petitesse n’a tiré que des chimères insignifiantes ou de froides allégories ? Leurs exégètes et leurs philosophes, au lieu de les interpréter, se sont puérilement extasiés devant leurs invraisemblances. Les plus habiles d’entre eux découvrirent, sous leur. mythologie tombée en fatras, quelques principes importés par les marchands de Hollande. Ils